Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/975

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le renversement de toutes les lois du royaume. Puisqu’elle consterna des magistrats attachés au roi, et qui certes n’étaient pas des factieux, tels que les présidens Lejay, Novion, Bailleul, de Mesmes, Bellièvre, est-il surprenant qu’elle ait révolté l’âme d’une femme, et que Mme de Chevreuse ait conjuré Charles Ier de recevoir dans ses états le noble fugitif ? Remarquez bien que le duc de La Valette n’arriva en Angleterre qu’à la fin d’octobre 1639, lorsque Mme de Chevreuse n’avait plus aucun ménagement à garder envers Richelieu. Elle intercéda si vivement auprès de Charles Ier, que malgré l’opinion contraire du conseil des ministres et grâce à l’intervention de la reine, elle obtint pour le duc la permission de venir résider à Londres, et même d’être présenté au roi, mais en particulier et en secret, pour ne pas trop blesser la France[1] : vaine précaution, qui ne sauva pas le roi Charles des rancunes vindicatives de Richelieu. Le cardinal, voyant que Mme de Chevreuse l’emportait sur lui auprès du roi d’Angleterre et qu’elle le poussait vers ses ennemis, travailla plus que jamais à susciter au malheureux roi des embarras domestiques qui le missent hors d’état de nuire à la France ; il poursuivit dans l’ombre ses pratiques artificieuses auprès des parlementaires, et surtout auprès des puritains d’Écosse[2].

De son côté, Mme de Chevreuse ne s’endormit pas. Une fois son ancien duel avec Richelieu renouvelé, elle forma à Londres, avec le duc de Vendôme, La Vieuville et La Valette, une faction d’émigrés actifs et habiles qui, s’appuyant sur le comte de Holland, alors un des chefs du parti royaliste et de l’armée de Charles Ier, sur lord Montaigu, ardent catholique et le conseiller intime de la reine Henriette, sur le chevalier d’Igby et sur d’autres seigneurs puissans dans cette cour, entretenant aussi des intelligences avec les mécontens de France, encourageant et enflammant les espérances de tous les proscrits, semaient partout des obstacles sur la route de Richelieu, et assemblaient des périls sur sa tête.

  1. Mémoires de Richelieu, t. X, p. 498 et 199.
  2. Voyez la lettre de Richelieu au comte d’Estrade du 2 décembre 1637 ; voyez aussi diverses lettres de 1639 de Boispille au cardinal, où il lui donne des nouvelles du peu de progrès de l’armée royaliste en Écosse avec une satisfaction mal dissimulée qui trahit les sentimens de celui auquel il écrit. — Manuscrits de Colbert, t. II, f° 29, 32, 33, etc. Richelieu fit imprimer le Manifeste des Écossais, lorsqu’ils s’avancèrent en 1641 vers l’Angleterre, dans la Gazette de cette année, n° 34, p. 161. « On ne peut douter, dit l’exact et savant père Griffet, t. III, p. 158, que Richelieu n’ait été un des premiers auteurs de la révolution qui conduisit dans la suite Charles Ier sur l’échafaud et Cromwell sur le trône. M. de Brienne parait en convenir, mais il a soin de remarquer que les choses allèrent bien plus loin que le cardinal ne l’avait prévu et qu’il ne l’eût souhaité. »