Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/974

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsqu’elle se crut bien sûre qu’il la trompait, l’attirait en France pour l’avoir en sa dépendance et au besoin pour la faire enfermer, ayant rompu avec lui, elle se considéra comme délivrée de tout scrupule, et ne songea plus qu’à lui rendre guerre pour guerre.

Quelque temps après Marie de Médicis vint encore à Londres chercher un refuge une autre victime du cardinal, un autre proscrit, intéressant au moins par l’incroyable iniquité des formes du jugement rendu contre lui : le duc de La Valette, le fils aîné du vieux duc d’Epernon, le propre frère du cardinal de La Valette, l’un des généraux et des confidens de Richelieu, qui peut-être l’avait sauvé par ses conseils à la journée des dupes, et dont l’épée l’avait tant de fois fort bien servi dans les Pays-Bas et en Italie. Le duc de La Valette avait commis sans doute une grande faute. Au siège de Fontarabie, placé sous les ordres de M. le Prince, il avait fait échouer cette importante entreprise en ne secondant pas son général comme il le devait. Il n’avait point trahi, il ne s’entendait point avec l’ennemi ; mais une jalousie fatale envers le prince de Condé l’avait fait manquer à son devoir. Une juste punition eut satisfait l’armée ; l’excès de la condamnation et le scandale du procès révoltèrent tous les honnêtes gens. Au lieu d’être traduit devant le parlement en sa qualité de duc et pair, selon les règles de la justice du temps, Bernard de La Valette fut livré à une commission, comme l’avait été le maréchal de Marillac. Le duc, voyant qu’on en voulait à sa vie, s’enfuit, et on le jugea par contumace de la façon la plus inouïe. Le roi assembla dans sa chambre un certain nombre de membres du parlement, le premier président, les présidens à mortier, quelques conseillers d’état, quelques ducs et pairs bien choisis ; il en forma une sorte de tribunal, se mit à sa tête, présida lui-même, et malgré la résistance généreuse de la plupart des membres du parlement, qui demandaient que l’affaire leur fût renvoyée selon toutes les ordonnances, il força ces prétendus juges de délibérer[1], d’adopter les tristes conclusions du procureur-général, et on déclara le duc de La Valette criminel de lèse-majesté, coupable de perfidie, trahison, lâcheté et désobéissance ; il fut condamné à être décapité, ses biens confisqués, et ses terres mouvant de la couronne réunies au domaine du roi. Le procureur-général Mathieu Molé eut grand’peine à se faire décharger du soin de mettre à exécution cette odieuse sentence, et l’illustre contumace fut décapité en effigie, sur la place de Grève, le 8 juin 1639. une telle façon de procéder en matière criminelle était

  1. Il faut voir cette scène inouïe, non pas seulement dans la relation détaillée et suspecte que publièrent les amis de La Valette, et qui se trouve parmi les pièces imprimées à la suite des Mémoires de Montrésor, mais dans les Mémoires d’Omer Talon, collection Petitot, n° série, t. LX, p. 186-197.