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et de l’abandon, est fort calculée et réservée. Mme de Chevreuse se garde bien d’engager une polémique sur le passé, mais elle y revient un peu pour sonder Richelieu, ne voulant pas s’exposer à rentrer en France pour y être recherchée sur sa conduite antérieure ; aussi a-t-elle soin de placer habilement et sans déclamation le mot d’innocence. Dès cette première lettre, on comprend le jeu de Mme de Chevreuse : il consiste à prendre doucement ses sûretés. Cesser de se dire innocente, c’eût été se remettre entre les mains de Richelieu, qui, au premier mécontentement feint ou réel, pouvait s’armer de ses aveux et l’en accabler. La réponse du cardinal découvre aussi, et, selon nous, découvre un peu trop sa secrète pensée : elle est, comme en général toute sa politique, captieuse à la fois et impérieuse. Au milieu des démonstrations d’une politesse un peu maniérée, il lui dit : « Ce que vous me mandez est conçu en tels termes, que n’y pouvant consentir sans agir contre vous-même par excès de complaisance, je ne veux pas répondre de peur de vous déplaire en voulant vous servir. En un mot, madame, si vous êtes innocente, votre sûreté dépend de vous-même, et si la légèreté de l’esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relâcher quelque chose dont sa majesté ait sujet de se plaindre, vous trouverez en sa bonté tout ce que vous pouvez en attendre. » Mme de Chevreuse comprend aisément la finesse du cardinal ; mais, pour ne laisser subsister aucune équivoque, elle lui adresse un mémoire où elle lui rend compte de toute sa conduite et des motifs qui l’ont déterminée à sortir de France. Elle a fui, parce que, tout en lui prodiguant les bonnes paroles, on essayait de lui faire avouer qu’elle avait écrit au duc de Lorraine pour l’empêcher de rompre avec l’Espagne et de s’entendre avec la France, et que, ne pouvant avouer une faute qu’elle n’avait pas commise, et voyant qu’on en était persuadé et qu’on alléguait même des lettres interceptées, elle avait mieux aimé quitter son pays que d’y rester soupçonnée et en un perpétuel danger. Richelieu s’empresse de la rassurer, mais au contraire il l’épouvante en paraissant convaincu qu’elle a fait ce qu’elle est bien décidée à ne jamais avouer. Était-ce une bien heureuse manière de lui inspirer de la confiance que de lui rappeler l’affaire de Châteauneuf, et de lui insinuer assez clairement qu’on a en main des preuves qui dispensaient de tout aveu de sa part ? » Quand le sieur de Boispille vous alla trouver, je lui dis ce que j’estimois pour votre service et votre sûreté, qui consistoit, à mon avis, à ne tenir rien de caché ; ce à quoi j’estimois que vous vous dussiez porter d’autant plus facilement, que l’expérience vous a fait connoître, par ce qui s’est passé au fait de M. de Châteauneuf, qu’en ce qui vous intéresse, ce dont vos amis ont la preuve en main est plus