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parlera devant toute chose de la joie particulière que j’ai ressentie de la grossesse de votre majesté. Dieu récompense et console tous ceux qui sont à elle par ce bonheur, que je lui demande de tout mon cœur d’achever par l’heureux accouchement d’un dauphin. Encore que ma mauvaise fortune m’empêche d’être des premières à le voir, croyez que mon affection au service de votre majesté ne me laissera pas des derniers à m’en réjouir. Le souvenir que je ne saurois douter que votre majesté n’aie de ce que je lui dois et celui que j’ai de ce que je lui veux rendre lui persuaderont assez le déplaisir que ce m’a été de me voir réduite à m’éloigner d’elle pour éviter les peines où j’appréhendois que des soupçons injustes ne me missent. Il m’a fallu priver de la consolation de soulager mes maux en les disant à votre majesté, jusqu’à cette heure que je puis me plaindre à elle de ma mauvaise fortune, espérant que sa protection me garantira de la colère du roi et des mauvaises grâces de M. le cardinal. Je n’ose le dire moi-même à sa majesté et ne le fais pas à M. le cardinal, m’assurant que votre générosité le fera, et rendra agréable ce qui pourrait être importun de ma part. La vertu de votre majesté m’assure qu’elle l’exercera volontiers en cette occasion, et qu’elle emploiera sa charité pour me dire, ce que je sais, qu’elle est toujours elle-même. Votre majesté saura par les lettres du roi et de la reine de la Grande-Bretagne l’honneur qu’ils me font. Je ne le saurois mieux exprimer qu’en disant à votre majesté qu’il mérite sa reconnoissance. Je crois que vous approuverez ma demeure en leur cour, que cela ne me rendra pas digne d’un mauvais traitement, et que l’on ne me refusera point les choses que l’autorité de votre majesté et le soin de M. le cardinal m’avoient procurées avant mon départ, et que je demande à monsieur mon mari. En quoi je supplie votre majesté de me protéger, afin que j’en aie bientôt les effets si justes que j’en attends. » En même temps qu’elle réclamait son bien, Mme de Chevreuse songeait à acquitter une dette qui pesait à sa fierté. À Tours, elle avait bien été forcée d’accepter l’argent que lui avait envoyé Richelieu ; mais, ainsi que nous l’avons dit, elle l’avait accepté comme un simple prêt, et sous le couvert de la lettre officielle à la reine Anne qu’on vient de lire, était un petit billet confidentiel et réservé à la reine seule, où nous voyons que la reine de France avait elle-même autrefois emprunté de l’argent à son ancienne surintendante. Celle-ci, en effet, la conjure de payer M. le cardinal sur ce qu’elle lui doit, et, si elle le peut, « d’achever le surplus de la dette. »

Ces derniers mots, et bien d’autres de lettres subséquentes, nous apprennent que depuis sa sortie de France, n’ayant rien voulu recevoir de l’étranger, Mme de Chevreuse avait épuisé toutes ses ressources, et que, n’ayant pas la disposition de son bien, elle en était