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que c’étoit la reine qui l’envoyoit, et lui dit, après bien des façons, ce que la reine avoit déjà avancé, et protesta n’en pas savoir davantage. Le cardinal de Richelieu fut alors confondu, et le roi demeura satisfait. La Porte, homme de bien et sincère, m’a assuré qu’ayant vu les lettres dont il étoit question et sachant ce qu’elles contenoient, il y avoit lieu de s’étonner qu’on pût former des accusations contre la reine, qu’il y avoit seulement des railleries contre le cardinal de Richelieu, et qu’assurément elles ne parloient de rien qui lut contre le roi ni contre l’état. » La Porte, dans ses curieux mémoires[1], confirme ce récit de Mme de Motteville ; il atteste qu’il n’y avait point de « finesse » dans la correspondance de la reine et de Mme de Chevreuse, et que toute cette affaire avait été concertée pour y « embarquer Mme de Chevreuse, et faire croire au public que c’étoit une grande cabale contre l’état, car il étoit de la coutume de son éminence de faire passer des choses de rien pour de grandes conspirations. »

Reste à savoir si en effet il n’y avait là que des choses de rien, comme dit La Porte. Nous venons d’entendre les amis de la reine et de Mme de Chevreuse ; mais il faut entendre aussi Richelieu[2] ; il faut entendre surtout des témoins bien autrement sûrs que tous les mémoires, c’est-à-dire les documens originaux et authentiques d’après lesquels Richelieu a écrit, et qui ont échappé à tous les historiens, le père Griffet excepté, qui, dans cette affaire comme dans celle de Châteauneuf, a tout su, tout connu, et, pièces en main, justifie le récit du cardinal. Grâce à ces pièces, que nous avons pu étudier aussi[3], tous les voiles sont levés, on voit clair dans la

  1. Mémoires, p. 358, etc.
  2. Mémoires,t. X, p. 195, etc.
  3. Ces précieux documens sont passés de la cassette du cardinal de Richelieu dans la bibliothèque du maréchal, qui les a communiqués au père Griffet, comme il avait fait les papiers de Châteauneuf. La Bibliothèque nationale les a acquis assez récemment. En voici la liste exacte : Supplément français, n° 4008, avec ce titre : Pièces relatives à l’affaire du Val-de-Grâce,1637. Ces pièces sont : 1° Relation de ce qui s’est passé en l’affaire de la reine, au mois d’aoûst 1637, sur le sujet de La Porte et de l’abbesse du Val-de-Grâce ; cette relation est de la main même de Richelieu : c’est à peu près le récit des Mémoires ; on voit par là comment le cardinal composait ses mémoires, et que cet ouvrage n’est autre chose qu’une collection de mémoires spéciaux, unis entre eux par quelques mots de narration ; 2° procès-verbaux de quatre interrogatoires de La Porte, du 13, 15, 18 et 27 aoûst 1637 ; 3° procès-verbal de l’interrogatoire de l’ablesse du Val-de-Grâce, du 24 aoûst ; 4° Instructions autographes de M. De Noyers, adressées au chancelier Séguier pour ces différens interrogatoires ; 5° plusieurs lettres autographes de Séguier ; 6° une déposition de la reine écrite par son secrétaire des commandemens, Le Gras, le 21 aoûst, à Chantilly, pour être donnée à monseigneur l’éminentissime cardinal de Richelieu ; 7° une nouvelle déclaration de la reine du 22 aoûst, de la main de Le Gras ; 8° un premier pardon du roi, du 17 aoûst, ainsi qu’un Mémoire des choses que le roi désire de la reine, et l’engagement de la reine de se conformer à toutes les choses qui lui sont prescrites.