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intrépide qu’elle portait au cardinal parmi les habiles déférences qu’elle lui prodiguait.

« 28 Mme de Chevreuse) se plaint à 38 (Châteauneuf) de son serviteur, qui a si peu d’assurance en la générosité et amitié de son maître, et fait bien pis quand il demande si 28 le néglige pour l’avoir promis à 22 (Richelieu). Vous avez tort d’avoir eu cette pensée, et l’âme de 28 est trop noble pour qu’il y entre jamais de lâches sentimens. C’est pourquoi je ne considère non plus la faveur de 22 que sa puissance, et ne ferai jamais rien d’indigne de 28 pour le bien que je pourrais tirer de l’une ni pour le mal que me pourrait faire l’autre. Croyez cela si vous me voulez faire justice. Je vous la rendrai toute ma vie, et souhaite que vous y ayez de l’avantage, car je prendrai grand plaisir à vous contenter et j’aurai grand’ peine à vous déplaire. Voilà, en conscience, mes sentimens, et vous n’en avez point si vous manquez jamais à votre maître.

« 28 n’a point eu de nouvelles de 22 (Richelieu). S’il est aussi aise de n’ouïr point parler de 28 comme je le suis de n’ouïr plus parler de lui, il est bien content, et moi hors de la persécution dont le temps et notre bon esprit nous délivreront.

« La tyrannie de 22 s’augmente de momens en momens. Il peste et enrage de ce que 28 ne le va pas voir. Je lui avois écrit deux fois avec des complimens dont il est indigne, ce que je ne lui eusse jamais rendu sans la persécution que 57 ( ?) m’a faite pour cela, me disant que c’étoit acheter le repos. Je crois que les faveurs de 23 (le roi) ont mis au dernier point sa présomption. Il croit épouvanter 28 de sa colère, et se persuade, à mon opinion, qu’il n’y a rien que 28 ne fît pour l’apaiser ; mais 28 aime mieux se résoudre à périr qu’à faire des soumissions à 22. Sa gloire m’est odieuse. Il a dit à 57 que l’humeur de 28 étoit insupportable à un homme de cœur comme lui, et qu’il étoit résolu de ne rendre plus aucun devoir particulier à 28, puisque 28 n’étoit pas capable de donner à lui seul son amitié et sa confidence. C’est 38 seul que je veux qui sache ceci. Ne faites pas semblant à 57 de le savoir. Il a eu une petite brouillerie avec 28 à cause qu’il a été si intimidé par l’insolence de 22, qu’il a voulu persécuter 28 pour endurer bassement 22. J’estime tant le courage et l’affection de 38 que je veux qu’il sache tous les intérêts de 28. Elle se fie si entièrement en 38 qu’elle tient ses intérêts aussi chers entre ses mains qu’aux siennes. Aimez fidèlement votre maître, et quelle que persécution qu’on lui puisse faire, croyez qu’il se montrera toujours digne de l’être par toutes ses actions.

« Je ne vous fais point d’excuse de ne vous avoir pas écrit aujourd’hui, mais je veux que vous croyez que je n’ai pas laissé de songer souvent à vous, quoique mes lettres ne vous l’ayent pas témoigné.