Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prince ; non : la vraie cause des malheurs de Charles IV était dans son caractère, dans son ambition présomptueuse, ouverte à toutes les chimères, et qui rencontrait devant elle, en France, un politique tel que Richelieu. N’oublions pas que ces deux personnages étaient déjà brouillés bien avant que Mme de Chevreuse mît le pied à Nancy. Richelieu revendiquait plusieurs parties des états du duc, et celui-ci, placé entre l’Autriche et la France, commençait à se déclarer pour la première contre la seconde. C’était l’homme le plus fait pour entrer dans les sentimens de Mme de Chevreuse, comme elle était admirablement faite pour seconder ses desseins. Elle trouva Charles IV déjà lié à l’Autriche ; elle le lia à l’Angleterre, dont Buckingham disposait ; elle noua des intelligences avec la Savoie, et forma ainsi une ligue européenne, à laquelle elle donna à l’intérieur l’appui du parti protestant, que gouvernaient ses parens, Rohan et Soubise. Le plan était sérieux ; une flotte anglaise, conduite par Buckingham lui-même, devait débarquer à l’île de Ré et se joindre aux protestans de La Rochelle ; le duc de Savoie devait descendre à la fois dans le Dauphiné et dans la Provence, le duc de Rohan, à la tête des réformés, soulever le Languedoc, enfin le duc de Lorraine marcher sur Paris par la Champagne. L’agent principal de ce plan, chargé de porter des paroles à tous les intéressés, était mylord Montaigu, un des amis particuliers de Holland et de Buckingham, qui, dit-on, s’était laissé séduire aussi aux charmes de Mme de Chevreuse. Richelieu, averti par sa sagacité et par sa police, épiait toutes les démarches de Montaigu ; il osa le faire arrêter[1]) jusque sur le territoire lorrain, se saisit de ses papiers, découvrit toute la conjuration, et y fit face avec sa vigueur accoutumée. L’attaque principale sur l’île de Ré échoua ; Buckingham battu fut forcé à une retraite honteuse. Bientôt après La Rochelle céda à la constance et à l’habileté du cardinal, la coalition vaincue était dissoute, et l’Angleterre demandait la paix, en mettant parmi ses conditions les plus pressantes le retour en France de la belle exilée, devenue une puissance politique, pour laquelle on fait la paix et la guerre. « C’étoit une princesse aimée en Angleterre, à laquelle le roi portoit une particulière affection, et il la voudroit assurément comprendre en la paix, s’il n’avoit honte d’y faire mention d’une femme ; mais il se sentiroit très obligé si sa majesté ne lui faisoit point de déplaisir. Elle avoit l’esprit fort, une beauté puissante dont elle savoit bien user, ne s’amollissant par aucune disgrâce, et demeurant toujours en une même

  1. La reine Anne était si avant dans cette intrigue, qu’elle trembla pour elle-même à la nouvelle de l’arrestation dîle Montaigu, et elle n’eut de repos qu’après s’être bien assurée qu’elle n’était pas nommée dans les papiers du prisonnier et ne le serait pas dans ses interrogatoires. Voyez La Porte, Mémoires, page 304.