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choses « une matière agréable à leur gaieté, à leur plaisanterie : a giovine cuor tutto è giuoco[1]. » Lord Rich, depuis le célèbre comte de Holland, était venu à la cour de France, à la fin de 1624 ou au commencement de 1625, demander pour le prince de Galles, qui devint bientôt Charles Ier, la main de Madame, la belle Henriette, sœur de Louis XIII Pendant cette négociation, le comte de Holland s’éprit de Mme de Chevreuse. Il était jeune et d’une beauté remarquable : il lui plut[2], et la mit dans les intérêts de l’Angleterre. Voilà, je crois, le vrai début de Mme de Chevreuse dans l’amour et dans les affaires. Holland, qui était léger, homme de plaisir et d’intrigue, lui persuada d’engager sa royale amie dans quelque belle passion semblable à la leur. Anne d’Autriche était vaine et coquette, elle aimait à plaire, et avec le goût de son pays pour la belle galanterie et dans l’abandon où la laissait Louis XIII, elle ne s’interdisait pas de recevoir des hommages ; mais ici le jeu n’était pas sans danger, et le beau, le magnifique Buckingham parvint à troubler assez sérieusement le cœur de la reine. Ce ne fut pas la faute de Mme de Chevreuse si Anne d’Autriche ne succomba pas tout à fait. Buckingham était entreprenant, la surintendante fort complaisante, et la reine ne se sauva qu’à grand’peine[3].

Quoi qu’en dise Retz, nous doutons fort que Buckingham ait été autre chose à Mme de Chevreuse que l’intime ami de son amant, le chef du parti dans lequel Holland l’entraîna. Nous ne saurions où placer les amours de Buckingham et de Mme de Chevreuse. Elle le vit pour la première fois quand il vint en France, au mois de mai 1625, pour épouser Madame au nom de Charles Ier, et alors Buckingham était dans toute la folie de sa passion pour la reine Anne, et Mme de Chevreuse aimait le comte de Holland, qu’elle alla rejoindre en Angleterre, ayant eu l’art de se faire nommer pour y conduire avec son mari la nouvelle princesse de Galles. Or, quand Mme de Chevreuse aimait, Retz le dit lui-même, elle aimait fidèlement et uniquement. Ce n’est pas à vingt-quatre ans qu’on se moque d’un premier attachement

  1. Mme de Motteville, ibid., p. 12. Elle dit même que la reine étant devenue grosse, se blessa en courant après la connétable.
  2. La Rochefoucauld, ibid., p. 340. La Porte, Mémoires, collection Petitot, n° série, t. LIX, p. 295 : « Un des plus beaux hommes du monde, mais d’une beauté efféminée ; »
  3. Nous croyons en effet à la scène du jardin d’Amiens, telle que la racontent Mme de Motteville et La Rochefoucauld, mais nous ne croyons pas le moins du monde à celle du jardin du Louvre, et que la reine ait le lendemain envoyé Mme de Chevreuse demander à Buckingham s’il était sûr qu’elle ne fût pas en danger d’être grosse, ainsi que le dit Retz dans le manuscrit original de ses Mémoires, que reproduit fidèlement l’édition de M. Aimé Champollion, collection Michaud et Poujoulat C’est la scène d’Amiens que Mme de Chevreuse aura racontée à Retz, et qui vingt ans après se sera agrandie et embellie dans l’imagination libertine du cardinal.