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toires révéler toutes seules l’inspiration d’où elles procèdent, le but où elles tendent. Le principal de ces récits est le Secret de Polichinelle. C’est encore la comédie humaine, la peinture de la vie sociale sous ses divers aspects. Deux jeunes gens s’en vont dans la vie, la main dans la main, bien différens de caractère cependant. Maurice Delayen est un jeune homme faible et irrésolu, livré à toutes les séductions et à toutes les tromperies, aussi prompt à s’enflammer qu’à se décourager. Il n’a point connu sa mère, morte en le mettant au monde ; il ne connaît guère son père que le jour où celui-ci meurt, laissant subitement son fils dans l’opulence. Arsène Pellegrin est l’homme fort dans cette histoire, le héros à la fois sceptique et croyant, qui réunit la connaissance de toutes les turpitudes sociales, le dédain des hommes et le sentiment d’un idéal supérieur. C’est Arsène qui prendra Maurice par la main et qui sera le Mentor de cet autre Télémaque dans l’aventureuse carrière de la vie. Il le fera boire à la coupe amère de l’expérience, et lui enseignera le mépris en levant autour de lui tous les masques. Il lui montrera des dames de charité cachant la perversité sous l’apparence de la dévotion, des généraux qui font la guerre à la bourse des autres, le monde tout entier occupé à s’amuser, à se tromper et à se corrompre, car c’est un des points principaux de cette singulière poétique de représenter tout ce qui vit d’une vie régulière comme entaché de corruption et de mensonge. Si l’expérience ne suffit pas, s’il reste encore à Maurice quelques illusions, Arsène le conduira dans cette région indéfinissable où flottent toute sorte d’existences équivoques, joueurs suspects ou femmes perdues. Il le guérira des séductions du monde par l’orgie et le jeu. Et en définitive où vont-ils aboutir l’un et l’autre, Télémaque et Mentor, Maurice et Arsène ? Maurice, finira par épouser une jeune fille tombée dans la détresse, la propre nièce d’un général qui l’a volé. Quant à Arsène, il sera pris dans les journées de juin 1848, et il sera transporté en Afrique, où il ira souffrir pour l’humanité comme Prométhée sur son rocher. C’est là le dernier mot de cette histoire, et l’auteur ne semble avoir fait d’un style prétentieux une peinture si étrange et si violente du monde actuel que pour mieux montrer la nécessité d’une rénovation. Arsène est le confesseur de la foi nouvelle. Seulement quelle est cette rénovation ? quelle est cette foi ? Elle se compose de mots encore plus que d’idées et de convictions bien précises. L’auteur croit avoir dévoilé le monde réel, et il n’a peint qu’un monde fantastique et repoussant. Il croit avoir trouvé un idéal dominateur, et cet idéal n’est que la chimère impuissante des imaginations surexcitées. Que la société actuelle souffre, les témoignages en sont assez éclatans et se multiplient depuis un demi-siècle : mais il ne s’agit point ici de remèdes amphigouriques et humanitaires. Le vrai remède est dans le bien pratique, dans l’observation des lois morales, dans le respect de toutes les conditions immuables de la vie humaine.

De ces récits et de ces contes qui se succèdent, moisson nouvelle après les récits d’autrefois, l’un des plus curieux peut-être, un de ceux où il y a le plus d’intérêt, c’est un roman, — le Blessé de Novare, — qui est venu se jeter dans la mêlée littéraire sans bruit, sans nom d’auteur. Ce n’est point un écrivain exercé qui a composé cette histoire d’une exécution prolixe et d’un dessin confus ; on y sent du moins un esprit d’une distinction naturelle, une imagination qui cherche la nouveauté au risque d’accumuler les