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c’est l’Allemagne ; elle avait dans la main la paix du monde à l’origine de la lutte. Il suffisait qu’elle acceptât ouvertement la solidarité de la cause occidentale et qu’elle ne déclinât aucun des devoirs d’un grand état. La Russie eût hésité sans doute devant cette formidable et irrésistible coalition de tous les intérêts européens. En ne faisant rien, l’Allemagne a laissé s’accumuler de terribles difficultés pour la paix ; elle a nui à la Russie elle-même, qu’elle voulait peut-être servir, et elle a travaillé à sa propre déconsidération. Elle s’est exposée à voir le conflit actuel se dénouer et se régler en dehors de son action et de sa participation. Il serait à souhaiter que le voyage de MM. von der Pfordten et de Beust fût l’indice de dispositions nouvelles, bien que tardives, de la part des états secondaires de l’Allemagne.

Quant à l’Autriche en particulier, bien que son attitude diplomatique ait eu en certains momens un caractère plus décidé, il serait cependant difficile de savoir quelle différence réelle il y a entre ses actes et ceux des autres états allemands. L’Autriche est notre alliée, il est vrai ; il y a un an bientôt qu’elle a signé le traité du 2 décembre. Entre la Russie et les puissances occidentales, elle ne se considère point comme neutre ; elle est tout entière dans notre camp. Qu’a-t-elle fait pourtant ? — Des vœux peut-être pour nos succès. Aussitôt après la conférence de Vienne, l’Autriche refusa d’entrer en lice, sous prétexte qu’elle avait été complètement étrangère à l’expédition de Crimée. Sébastopol est tombé aujourd’hui, la guerre a pris une face nouvelle. Pour ce qui regarde l’Autriche, on n’a entendu parler encore que d’assez nombreuses vexations exercées par ses soldats dans les principautés. Le cabinet de Vienne sert-il du moins la cause commune par d’autres efforts et sur un autre terrain ? Il y a en Italie un petit pays qui, avec une simple et vigoureuse décision, est entré le premier dans l’alliance occidentale : c’est le Piémont. Il semble que depuis quelque temps l’Autriche redouble d’aigreur et de procédés malveillans à l’égard du cabinet piémontais. On l’a vu récemment dans cette affaire diplomatique qui a eu lieu à Florence, et qui n’est point réglée encore. En lui-même, l’incident est peu de chose. Le cabinet de Turin a nommé un jeune homme, M. Antonio Casati, attaché de légation à Florence. Le gouvernement toscan était informé, suivant l’usage, de cette nomination. Arrivé à son poste, M. Casati échangeait des cartes avec le ministre des affaires étrangères lui-même. Tout semblait donc régulier, lorsque le cabinet du grand-duc s’est ravisé sous l’influence fort peu dissimulée de l’Autriche. Le jeune attaché de légation en effet est d’origine lombarde ; il est fils du comte Casati, qui a joué un rôle éminent dans la révolution de 1848, et il a fait lui-même un livre sur Milan et les princes de la maison de Savoie, — un livre fort peu autrichien, il faut le dire. Le cabinet toscan a trouvé là un prétexte pour signifier au ministre du Piémont que M. Casati ne serait point admis aux réceptions de la cour. De là des explications fort vives, des récriminations et des notes acerbes, qui ont fini par aboutir au rappel de la légation sarde de Florence et à une sorte d’interruption de rapports diplomatiques.

Il est facile de voir les points saillans de ce différend. Avec un peu plus de circonspection, le cabinet de Turin se fut abstenu peut-être d’envoyer M. Casati à Florence, à la cour d’un archiduc ; mais dès que la nomination avait été