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se sentit inhabile à maintenir les peuples tributaires asservis et non annexés à la république, soit que la population de cette cité, exclusivement vouée au négoce, se souciât peu d’entretenir des institutions militaires capables de la protéger contre ses belliqueux voisins, — Novgorod crut devoir appeler à son aide (862) un chef nommé Rourik, qui paraît avoir été le plus valeureux entre les princes Varègues-Russes de son temps. Tel est le fait dont s’autorisent les chroniqueurs et historiens pour placer le nom de Rourik en tête de l’histoire de Russie, comme si la république de Novgorod eût, en appelant ce chef à son aide, passé d’une forme de gouvernement à une autre. L’appel fait à Rourik, ainsi qu’à ses frères Sinaf et Trouvor, ouvrait sans doute une nouvelle phase dans l’histoire de la cité marchande, mais elle ne mettait pas fin à l’existence de cette commune, qui, après comme avant l’arrivée du prince varègue, restait une république indépendante.

Rourik et ses frères, considérés comme généraux au service de la république, ne résidèrent pas dans la cité. Ils furent soldés pour s’établir, chacun avec un corps d’armée, sur divers points qu’on regardait comme les plus menacés. Le poste de Rourik était au nord, sur le lac Ladoga, celui de Sinaf à l’est, sur le Lac-Blanc (Biélo-Ozero) ; celui de Trouvor à l’ouest, à Izborst, près de Pskof. Cette organisation, il est vrai, ne se maintint pas longtemps. Rourik, ayant perdu ses frères et concentré le pouvoir militaire entre ses mains, eut hâte d’éluder les conditions du contrat et prétendit s’ériger en maître. Une lutte sanglante s’engagea entre son armée et les citoyens, et cette lutte ne se termina pas à l’avantage de Novgorod. Rourik réussit à s’emparer de la ville, qu’il fortifia et occupa jusqu’à sa mort, qui suivit de près sa victoire. C’est en 862 que Novgorod l’avait appelé, et c’est en 864 que Rourik mourait, laissant les Novgorodiens plus attachés aux institutions qu’il s’était flatté de détruire. Après Rourik, la république ne renonça pas entièrement au système inauguré si tristement par l’arrivée de ce chef, mais elle le pratiqua avec plus de prudence. Elle conserva des chefs militaires, seulement elle les choisit parmi les princes qu’elle jugeait moins hostiles à ses libertés. Leur charge militaire leur était conférée par élection, et n’était pas transmissible héréditairement. La république se réservait tous les droits de souveraineté. À elle appartenait l’autorité administrative et judiciaire, à elle le droit de paix ou de guerre. Les princes n’étaient admis comme chefs à son service qu’après avoir prêté un serment de fidélité, après avoir pris l’engagement formel de conserver ses libertés et privilèges tout en défendant ses possessions. Bien souvent même la république déposa et chassa ceux qui manquèrent à leurs engagemens ou qui se montrèrent impropres à la tâche qu’on leur confiait. Au XIIe siècle, dans une période de cinquante ans