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La domination de la cité commerçante s’étendit bientôt en réalité de la Lithuanie aux monts Ourals, du Lac-Blanc et du lac de Rostof jusqu’à la Mer-Glaciale, c’est-à-dire vers les contrées et les rivages où l’appelaient les besoins de son commerce. Au centre et à l’ouest de la Russie existaient cependant des états distincts qui ne dépendaient pas politiquement de Novgorod, et qui n’en étaient tributaires que pour leurs échanges. Ces divers états ou fractions de la Russie intérieure furent longtemps régis par des chefs décorés du titre de grands-princes (veliki-kniœze). Leur puissance, restreinte et peu stable, contrastait avec la solide organisation communale de Novgorod. Pour s’expliquer les conditions du pouvoir dans ces petits états, il faut se rappeler ce que nous disions de la configuration du sol, qui a fait de la Russie un pays d’égalité naturelle. Dans un pays plat et dépourvu de montagnes, il ne saurait y avoir de ces positions solides et inexpugnables où s’installe et se consolide une famille souveraine. Les terres en plaine, difficiles à défendre, sont par là même faciles à partager. De là le maintien de cette loi des apanages, c’est-à-dire du partage des successions, qui a constamment régi la famille en Russie. Le droit d’aînesse, principale condition d’existence de la féodalité, a toujours manqué à la noblesse russe, et ce n’est que vers le XVIe siècle qu’il fut introduit dans la famille royale ou tsarienne. Du jour où la loi des apanages fut abolie dans la dynastie régnante, il y eut une monarchie russe. Jusque-là, il y avait eu des Russies ; à dater de ce jour, l’empire de Russie fut fondé. À l’origine toutefois, la domination se morcelait à chaque succession princière, et la principauté se trouvait ainsi divisée en autant de parts qu’il y avait de fils ou d’héritiers dans la famille du chef défunt. De temps en temps, il survenait un prince doué de plus d’énergie, d’ambition ou de vitalité que les autres. Celui-là, par la guerre, là ruse ou la trahison, parvenait à subjuguer ses voisins et à se défaire de ses frères, neveux ou cousins. Alors il réunissait temporairement sous sa domination plusieurs Russies, ou même toutes les Russies ; mais à sa mort il léguait invariablement à chacun de ses fils une part de l’empire à peine formé, et l’œuvre laborieuse d’un long règne, glorieux ou sanglant, se trouvait ainsi détruite ! Le pays était de nouveau morcelé, et de siècle en siècle c’était à recommencer.

Au milieu de ces principautés soumises à tant de causes d’agitation et d’instabilité, la république de Novgorod voyait sa puissance s’accroître et s’affermir, car le pouvoir, tout en changeant de maître, ne s’y morcelait pas, et les territoires acquis demeuraient sous la dépendance d’un gouvernement indivisible, quoique fréquemment renouvelé. Cet état de progrès et de prospérité dura pour Novgorod jusque vers le milieu du IXe siècle (le quatrième depuis sa fondation). À cette époque, soit que le gouvernement de la grande commune