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sous ce ciel rigoureux des caractères particuliers. Ses institutions religieuses, politiques ou sociales sont contraires à l’esprit général des sociétés européennes. Faut-il conclure de cet ensemble de faits trop évidens que la Russie soit condamnée à persister dans la voie où l’a engagée le despotisme des tsars, et en lui refusant les titres à la prépondérance qu’elle revendique, lui refusera-t-on aussi les moyens de s’élever à une position meilleure vis-à-vis de l’Europe ? Non, sans doute. Parmi les plus mauvaises conditions faites à la Russie, s’il en est d’immuables, comme celles qui résultent de son climat, il en est d’autres qui tiennent à un système politique et social dont les vices peuvent être corrigés. Montrer les origines de ce système et l’opposer aux institutions primitives de la Russie, ce sera y révéler un esprit étranger aux premiers habitans de cet empire. Connaissant ainsi ce que les prétentions qu’il abrite ont d’injustifiable vis-à-vis de l’Europe comme vis-à-vis de la Russie, on appréciera mieux les chances de succès du gouvernement russe dans la lutte actuelle, le rôle qu’il a pris jusqu’à ce jour, et le rôle qu’il pourrait prendre.


II. – PREMIERES EPOQUES DE L’HISTOIRE DE RUSSIE. – NOVGOROD ET ROURIK.

Au commencement, liberté et civilisation ; à la fin, barbarie et servitude, — telle est l’étrange loi historique dont l’installation du système des tsars sur les ruines des institutions communales de la Russie nous montre l’accomplissement. Le mouvement des états de l’Europe occidentale se produit là en quelque sorte à rebours. Que trouve-t-on d’abord dans ces vastes plaines dont nous avons décrit la configuration et le climat ? Une aristocratie sans droit d’aînesse et sans suzerain, un état sans capitale fixe, une religion sans apôtres, puis au milieu de ces institutions informes et contradictoires, des élémens de liberté qui se heurtent pêle-mêle, et semblent attendre une organisation capable de les protéger. Au lieu de cette organisation, c’est malheureusement la destruction qui arrive, avec une race païenne et barbare qui comprime tout sous sa domination sauvage pendant plus de deux siècles. Enfin l’oppression prolongée provoque dans les diverses classes de la population un élan commun vers l’indépendance, et la conquête du pays par les Tartares a pour résultat de former une nation russe ; mais, le joug étranger enfin secoué, l’unité nationale produit aussitôt la monarchie, et avec celle-ci s’installe sur le trône un système qui n’a cessé depuis lors de se développer dans la voie de l’absolutisme. D’abord tsar, puis empereur, enfin autocrate et pape, le monarque russe réussit à concentrer en lui tous les pouvoirs. En même temps qu’une aristocratie avortée se disloque et se dissout, une féodalité bâtarde s’établit alors, non par