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arrêtées quand vient l’époque des gelées ; il en est de même pour bien d’autres travaux manufacturiers qui deviennent alors impraticables, ou qu’on ne réussit à continuer qu’en luttant contre d’extrêmes difficultés Les variations excessives dans la durée du jour sont enfin une cause de perturbations multipliées. La Russie est privée du bienfait des saisons transitoires ; elle n’a ni printemps ni automne. Le brusque passage d’un extrême à l’autre y interdit toute régularité, toute suite dans les habitudes. Nous n’insisterons pas plus longtemps sur ces traits bien connus de la nature septentrionale, mais il est évident qu’une population soumise à de telles influences ne pourra jamais sympathiser complètement avec les races qui vivent sous un ciel plus doux. Elle ne comprend pas sans effort leurs mœurs et leurs usages ; comment prétendrait-elle à les dominer ?

La configuration du sol rend plus sensibles encore, en Russie, les variations de température déterminées par la situation géographique. La Russie, en Europe, n’est qu’un immense plateau, légèrement ondulé, dépourvu de montagnes et presque de collines sur toute sa surface. Des Carpathes à l’Oural, de la Finlande à la Crimée, on ne rencontre pas une hauteur[1], pas un obstacle au cours des vents qui viennent du pôle. Ainsi les défrichemens, l’extension de culture ne pourront jamais amener dans ce pays une amélioration du climat, un abaissement de la température moyenne, comme cela est arrivé dans les régions centrale et occidentale de l’Europe. Avant que les glaces du pôle soient, fondues, il y a peu d’espoir de voir en hiver le thermomètre descendre à moins de 42 degrés Réaumur (au-dessous de zéro) dans le nord et le centre de la Russie, à moins de 25 degrés Réaumur dans le midi.

Ce défaut complet de montagnes et de roches, de pierres et de matériaux résistans, a entraîné de bien autres conséquences pour les destinées de l’empire russe. — Ce territoire s’est trouvé ouvert à toutes les invasions hostiles, notamment à celle des Tartares, sans autre moyen de défense que le climat et les distances. L’uniformité du sol a façonné à l’égalité la population qui le couvre. Dès qu’un pouvoir central s’y est établi, elle lui a facilité l’extension graduelle et indéfinie de son influence et de son action. Égalité native, manque de moyens de résistance, centralisation toujours croissante, tous ces élémens de servitude et de despotisme, c’est la configuration du sol qui les a fournis.

  1. On a décoré du nom de Suisse russe le groupe des collines de Valdaï. Parsemées de blocs erratiques, ces collines s’élèvent entre Novgorod et Saint- Pétersbourg dans la région qui parait être le point de partage des eaux de la Russie européenne. Il est inutile d’ajouter que ces hauteurs insignifiantes ne justifient nullement l’ambitieuse dénomination que leur donne la vanité nationale.