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en peu de mots. Est-il vrai que la concentration du pouvoir en Russie, éminemment utile aux XVe et XVIe siècles, quand il s’agissait de repousser l’invasion étrangère, soit plus tard devenue trop absolue, en détruisant, pour se fonder, tous les fruits, tous les élémens d’une civilisation antérieure très réelle, en faisant de la liberté civile le prix de l’indépendance nationale ? Est-il vrai que ce système ne soit pas moins menaçant pour l’Europe que fatal à la Russie, puisqu’après avoir produit à l’intérieur le servage, il a rendu nécessaires à l’extérieur la conquête et la guerre incessante ? Tels sont les deux points d’une enquête qu’il est plus que jamais opportun d’essayer au moment où la double tendance du système autocratique s’accuse de plus en plus, sous le coup même des événemens qui en condamnent le mieux les excès. Une telle étude doit naturellement se diviser en deux parties. Les origines du système des tsars nous feront pénétrer d’abord dans l’ensemble des conditions physiques et morales qui ont pesé sur le développement de la nation russe, puis dans les phases diverses de son histoire. Les applications récentes de ce système nous amèneront ensuite à traiter les grandes questions qu’il soulève en Russie et hors de Russie, au point de vue des populations gouvernées par les tsars, comme au point de vue des sociétés de l’Occident. Changement de conduite politique à l’intérieur comme au dehors, telle est la conclusion qui ressortira avec une pleine évidence d’une série de faits irrécusables.


I. – LE CLIMAT ET LES INSTITUTIONS.

Vis-à-vis de l’Europe, le système russe n’en est plus à cacher ses prétentions. Il y a cependant quelque intérêt à montrer comment elles se sont développées peu à peu, en se servant des forces que leur offraient la nature du sol et les circonstances historiques pour se diriger finalement dans un sens contraire à l’ancienne civilisation du pays.

C’est à la suite d’une longue et pénible lutte entre la race slave et les populations de l’Asie que s’est révélée en Russie la funeste tendance dont les manifestations n’ont pas cessé de se poursuivre sous nos yeux. Elle correspond à la première division qui éclata dans le monde slave entre la Russie et la Pologne, après l’expulsion des Tartares. Jusqu’à ce moment, les peuples occidentaux avaient pu contempler avec une sorte d’intérêt cette race qui, aux extrémités de l’Europe, se voyait condamnée à lutter sans relâche contre les rigueurs du climat et les attaques de voisins belliqueux et sauvages. Dans cette lutte, le triomphe n’était pas toujours resté aux Slaves. On avait vu les populations de la Russie, en présence des dernières hordes asiatiques qui se portaient sur l’Europe par le nord, n’arrêter cette invasion