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fiction symbolique à la représentation directe, elle inventa, elle composa ce genre singulier qu’on définit presque en prononçant le nom d’Aristophane. Comme ces symboles étaient pour la multitude, comme aucune censure autre que celle de la passion populaire ne gênait les fantaisies du poète, c’était une poésie des rues, une sorte de théâtre de la foire desservi par des écrivains exquis. De là un surprenant mélange de grossièreté et d’élégance. Comme œuvre littéraire, l’ancienne comédie était pleine de délicatesse et de goût ; comme divertissement public, rien de plus outré dans le cynisme. C’est le plaisir, ce sont les images et la langue de la populace qu’elle affectionne ; mais c’est à elle, non à la littérature proprement dite, que s’adressent les reproches que peut mériter Aristophane.

La seconde comédie ou la comédie moyenne est moyenne en effet entre l’ancienne et la nouvelle. Comme l’une, elle attaque les choses de circonstance et les hommes du jour, mais par la voie indirecte de l’allusion ; elle représente les contemporains sans les nommer. Encore politique comme l’ancienne, elle peint d’une manière générale, comme peindra la nouvelle. Celle-ci devait naître avec la servitude. Au milieu de l’indifférence de la nation sur ses affaires, elle enchérit sur la comédie moyenne en se désintéressant du présent, et en cherchant à retracer non les partis, mais les hommes, non les opinions, mais les caractères et les mœurs. C’est dans la vie sociale plus que dans la vie politique qu’elle choisit ses sujets. La comédie nouvelle, chez les Grecs, est donc tout simplement la comédie moderne. Cette transformation avait été précédée par celle de la tragédie. Dans le genre sérieux, on avait pu distinguer trois révolutions analogues. Nationale et symbolique dans Eschyle, la tragédie était devenue avec Sophocle l’expression historiquement poétique du génie de la Grèce ; mais on cessait d’y entrevoir aucune arrière-pensée, aucune intention secrète de servir une cause, de flatter un préjugé, d’exciter une opinion. Euripide a fait un pas de plus. Avec lui, la tragédie, moins poétique, est plus philosophique. Il était du temps où Socrate faisait descendre la philosophie sur la terre en lui donnant pour champ la morale. Euripide a écrit en observateur de la nature humaine, en peintre des sentimens qui l’agitent. C’est un moraliste pathétique, ce que sans doute voulait dire Aristote quand il l’appelait le plus tragique des trois poètes ; mais moins idéal et plus vrai, il s’est à quelques égards rapproché de la comédie, et il a donné dans le drame le rôle dominant à la passion. Si l’on transporte sur une scène plus simple et plus familière la poésie ainsi conçue, on arrivera bientôt à la comédie de Ménandre et de Philémon. C’était dans les deux genres une invasion de la critique sur la poésie. Du moment qu’on en venait à représenter plus exactement