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vous aurez la mesure de la différence entre les deux manières d’étudier l’antiquité. Il en est de même pour tous les autres monumens, pour tous les autres arts, qu’il s’agisse de la cathédrale de Cologne ou de Saint-Pierre de Rome, de la Chanson de Roland ou de la Divine Comédie.

Éclairée par l’investigation des faits, la critique proprement dite, l’appréciatrice de la valeur des œuvres de l’intelligence, en devient plus juste et plus féconde. Elle ne se borne plus à l’application monotone de quelques règles banales, à la redite de quelques exclamations admiratives ou de quelques censures toutes faites. Elle pénètre dans la pensée même de l’œuvre, et, reproduisant autant que possible l’image de l’artiste dans le milieu moral où sa destinée l’avait placé, elle parle son langage en le jugeant, et s’efforce de lui ôter la ressource de se dire incompris, s’il pouvait parler, et de répéter le non intelligor illis. Il n’y a pas jusqu’à l’expérience des révolutions qui, nous faisant passer en revue dans une courte période toutes les sortes de caractères, de passions et d’idées, aux prises avec tous les genres d’épreuves, ne nous ait fourni des points de comparaison qui nous servent à mieux saisir dans le passé toutes les situations, tous les systèmes, toutes les natures. Et par là non-seulement l’histoire n’a plus pour nous d’énigmes, mais la littérature elle-même, cette vivante expression de l’esprit humain dans tous les âges, n’a presque rien retracé que nous n’ayons, vu, presque rien soutenu qu’on n’ait pensé sous nos yeux. Comme les voyageurs, témoins de tant de scènes diverses, sont plus sensibles à la description vraie des accidens de la nature ou des ouvrages des hommes, nous revenons de loin, et nos souvenirs, réveillés par une réflexion ou un récit, sont là pour prêter à l’une plus de force, à l’autre plus de vie. Une sympathie plus souple et plus développée nous met à la place de ceux qui nous parlent. Les choses humaines ont perdu pour nous leurs mystères. Au XVIIe siècle, ce n’était pas assez du génie même de Bossuet pour comprendre la révolution d’Angleterre. À peu près par la même raison, tout l’esprit de Despréaux ne lui suffisait pas pour rendre justice au Paradis perdu. Le Milton de la poésie n’était guère pour l’un et l’autre plus intelligible que le Milton de la politique.

Lors donc qu’il y a quarante ans, M. Villemain a inauguré parmi nous une critique nouvelle, comme tous les esprits supérieurs, il devinait son temps. Il lui ouvrait sa vraie carrière, il lui montrait la route où il le guide encore avec une autorité qui s’accroît, avec un éclat qui redouble, toujours le même et toujours nouveau. Des talens divers se sont formés dans l’intervalle, et les maîtres éminens ne manquent pas pour nous apprendre à pénétrer l’esprit du passé