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Tout ceci ne tend point à détourner les critiques de chercher des relations entre les époques et les talens. Il y en a sans doute, et celui qui parle ici ne saurait guère que dire, si on lui défendait d’étudier son temps et de rattacher les idées aux événemens. Tout ce que je prétends établir, c’est que rien n’est délicat et incertain comme ce genre d’investigation, et surtout qu’il faut nous garder d’envelopper dans un même jugement de blâme ou d’approbation systématique tout ce qui se passe et tout ce qui se pense, tout ce qu’on fait et tout ce qu’on écrit. L’homme n’est pas tout d’une pièce ; l’incohérence, au moins apparente, est l’attribut des choses humaines, et c’est notre bonne ou méchante humeur qui nous détermine la plupart du temps à tout admirer, à tout condamner, à juger du vrai suivant l’utile, du beau selon l’agréable, du succès suivant nos désirs, du talent enfin suivant l’honnêteté.

Je me suis moins éloigné de mon sujet qu’on ne pense, et je le prouve en signalant tout de suite un des beaux côtés de la littérature contemporaine : c’est la critique, et M. G. Guizot a fait un livre de critique. De nos jours, la critique a pris tout à la fois une élévation, une étendue et une solidité telles qu’on a grand’peine à s’accommoder de la manière dont ce genre était traité avant nous. D’abord elle a pour base une science qui n’est peut-être qu’une de ses formes ou de ses applications, l’archéologie. Il faut entendre ce mot dans le sens le plus général, et le définir la connaissance intelligente des choses du passé. C’est, on peut le dire, un art nouveau. L’ancienne érudition était merveilleuse sans doute : elle imposait par sa masse, elle attestait des prodiges de travail et de mémoire, et quelquefois elle se signalait par une pénétration fort ingénieuse ; mais elle était sans règle. Comme toutes les sciences, elle avait à trouver sa méthode. Elle l’a trouvée apparemment de nos jours, car jamais, dans l’examen des monumens de toutes sortes, on n’a porté plus d’exactitude, plus sûrement raisonné, plus approché du vrai. Or, dès qu’il s’agit du passé, il faut une certaine archéologie : il faut visiter des lieux, explorer des débris, étudier des pièces, comparer des témoignages, comprendre enfin le sens de l’époque qu’on veut décrire. Il le faut pour raconter la guerre de la Vendée comme la retraite des dix mille. L’histoire est d’abord une critique avant d’être un art. Dans ces préliminaires de tout récit bien fait notre temps excelle, et ils ne sont pas moins indispensables à la critique littéraire qu’à l’histoire. tel est le fondement vaste et solide que l’archéologie largement entendue donne aujourd’hui à toutes les recherches d’esthétique appliquée. Comparez les dessins des pyramides d’Égypte ou de l’Acropole d’Athènes rapportés il y a moins d’un siècle par les meilleurs voyageurs avec ceux qu’on nous donne aujourd’hui, — et