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tant remué, pour en arracher, sinon de nouveaux fruits, au moins de nouvelles espèces.

Nous ne reculerions pas ainsi le but devant le jeune écrivain, si nous le jugions incapable de l’atteindre. M. Wilkie Collins, parvenu à ce degré de renommée qui affranchit la plume et permet les tentatives les plus hardies, peut, avec les ressources abondantes que lui fournit une éducation tout exceptionnelle, aborder comme il le voudra les problèmes posés devant lui. Qui serait mieux placé que lui, par exemple, pour nous peindre la vie d’artiste en Angleterre et de notre temps ? Qui pourrait mieux nous indiquer, dans ce qu’elles ont de plus délicat, les influences tantôt favorables, tantôt contraires, de ce patronage aristocratique, à l’ombre duquel tant de talens ont éclos et tant d’autres ont péri ? Et la situation si excentrique, — c’est bien le cas d’appliquer le mot, — faite à l’homme de lettres dans une société trop mal agencée pour qu’il y trouve naturellement sa place, ne peut-il l’étudier à fond ? On l’a déjà pu entrevoir, le fils de Collins a sur une foule de sujets, tous du plus sérieux intérêt, des lumières, une expérience qui ne sont point échues au premier venu, des lumières, il nous les doit ; cette expérience, il faut lui faire porter ses fruits. Il a toute chance d’arriver haut, s’il veut voir, telles qu’elles sont en réalité, les difficultés de son art, vrais récifs à fleur d’eau, qui ne se montrent pas tous, et que les bons pilotes apprennent à discerner sous le flot mystérieux. L’une des plus grandes est, tout en calculant ses forces, de ne leur pas chercher trop d’étais au dehors, de rester soi-même, de ne pas demander le succès à obtenir à la reproduction servile des œuvres que recommande le succès obtenu. L’originalité dans la conception première, voilà ce que doit rechercher avant tout M. Wilkie Collins, s’il veut passer définitivement au rang qu’il s’est montré capable d’atteindre. Pour y arriver, ce n’est pas tout que d’avoir fait lire Antonina, Basil et Hide and Seek ; au même public qui a goûté les Caxton, David Copperfield et Vanity Fair : un pas de plus reste à franchir, et nous aimons à espérer que, replié sur lui-même, mûri par l’exercice de son art, concentrant ses énergies diverses et leur donnant un but mieux défini, M. Wilkie Collins fera ce pas décisif : il justifiera ainsi les affectueuses sympathies qui déjà l’entourent, et auxquelles nous avons tenu à joindre nos suffrages.


E.-D. FORGUES.