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est, ce nous semble, l’heureuse chance de M. Wilkie Collins. Les chemins passablement ardus de la célébrité se sont aplanis pour lui. La critique le choie et le caresse. Les anciens du métier lui font amicalement « place dans le rang » sans attendre que le jeune et joyeux conscrit ait péniblement conquis tous ses chevrons. Charles Dickens, par exemple, réunissait, il y a quelques semaines, une brillante élite de spectateurs pour assister, chez lui, à la représentation d’un petit mélodrame en deux actes. Il y remplissait en personne le principal rôle. Son jeune fils et sa fille jouaient à côté de lui. Les autres acteurs étaient des peintres, des auteurs dramatiques en renom. Stanfield, l’un des plus brillans paysagistes anglais, avait voulu peindre lui-même et la toile et les décors. L’heureux auteur qui débutait d’une façon si éclatante dans l’art du théâtre, et dont la maidcn-play était si vaillamment patronée par les premiers écrivains et les premiers artistes de son pays, qui donc était-il ? On l’a déjà deviné. Au filleul de Wilkie, au fils de Collins, à l’heureux auteur de Basil, pareille bonne fortune était nécessairement réservée.

Son drame (deux actes) se passe tout entier dans le phare qui donne son nom à la pièce. Là vivent, séparés du monde par les flots qui battent sans cesse la base de l’étroit édifice, trois gardiens, deux vieillards et un jeune homme : Aaron Gurnock, Jacob Dale et Martin Gurnock, fils d’Aaron. Une tempête violente, prolongée au-delà de tout ce qu’on aurait pu prévoir, a privé pendant plusieurs jours ces trois malheureux de toute communication avec la terre. Leurs approvisionnemens sont épuisés, la mer est encore impraticable. Il n’y a donc plus pour eux qu’à se résigner et à se laisser mourir. En cette extrémité, se croyant certain de rendre bientôt ses comptes à Dieu, le vieil Aaron livre à son fils épouvanté le secret d’un crime dont jadis il fut le complice. C’était par une nuit de brouillards : une dame qui voyageait à cheval le long de la côte, séparée de ses domestiques et ne reconnaissant plus son chemin, était venue chercher asile dans sa hutte de pêcheur. Malheureusement pour elle, un sac d’argent qu’elle avait en croupe, et dont le poids inusité trahissait le contenu, avait tenté la cupidité d’un misérable avec lequel vivait Aaron. Il assassina la voyageuse pendant qu’elle dormait, et, le meurtre commis, Aaron eut la faiblesse d’accepter sa part de la somme volée à l’étrangère. De là datent des remords poignans, augmentés encore par tout ce qui lui a été dit de l’infortunée victime. Lady Grâce, — c’était son nom, — modèle de toutes les vertus chrétiennes, était la providence des pauvres du pays, un ange de bienfaisance et de charité.

Martin Gurnock est attéré par les révélations de son père. Il se sent, jusqu’à un certain point, flétri par ce crime dans lequel a si