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le sens, — l’imagination du romancier, au lieu de faire les frais de chaque piste retrouvée, devait ménager à ce personnage tout l’honneur de la moindre découverte. Nous ne nions pas les difficultés de cette tâche, telle que nous la comprenons et l’indiquons ici ; toutefois on a résolu des problèmes encore plus ardus, et d’ailleurs il n’est pas permis de reculer devant les conditions que l’on s’est imposées de gaieté de cœur par le choix parfaitement arbitraire de tel ou tel sujet.

Tel qu’il est, le dernier livre de M. Wilkie Collins demeure encore supérieur à beaucoup de romans anglais contemporains. Cette supériorité, il la doit non pas au fond du récit, fond assez commun et trop naïvement conçu, mais à l’art de narrer, qui n’a point fait défaut à l’écrivain, et au talent dont il a fait preuve dans certaines peintures d’intérieur.

Le personnage de Valentin Blyth, — le peintre chez lequel a grandi Mary Grice, l’enfant trouvée, — suffirait à lui seul pour conjurer la mauvaise fortune d’un roman. Elevé dans l’atelier de son père, familier avec les diverses classes d’artistes que la peinture fait bien ou mal vivre, M. Wilkie Collins a eu raison de choisir, pour nous la résumer en un type bien accusé, cette race trop calomniée et trop méprisée, — trop nombreuse aussi par malheur, — de ces honnêtes médiocrités qui, condamnées dès l’origine à un travail sans gloire et sans profit, mènent une heureuse vie dans des ténèbres peuplées d’illusions, et rachètent par la bonté, la générosité de leur âme, l’incurable infériorité de leur talent. Valentin Blyth, fils d’un négociant aisé, pouvait être riche, et n’a pas voulu acheter la richesse au prix de sa fière indépendance, au prix du brillant avenir qu’il rêvait. Il a préféré l’atelier à la boutique, et de même il préférerait aux plus beaux partis d’Angleterre la pauvre jeune fille qui a bien voulu écouter ses premiers vœux. Vainement lui dira-t-on que sa fiancée, atteinte sans qu’il y paraisse d’un mal héréditaire, lui sera un fardeau plus qu’une compagne : sa générosité candide ne reculera devant aucune menace. Il aime sa maîtresse comme il aime la peinture, pour elle-même, et avec la plus courageuse abnégation. Comment ne pas aimer en retour Valentin Blyth ? comment refuser ses sympathies à ce tranquille bonheur dans lequel il s’épanouit, toujours frais et souriant, toujours aux petits soins pour sa « Lavinia, » toujours occupé de cette chère malade, des distractions dont elle a besoin, du luxe modeste qu’elle aime à voir régner dans cette chambre à coucher d’où elle ne sort jamais ? La petite vanité de Blyth sans laquelle resterait incomplet son laborieux bonheur, cette vanité inoffensive que contrarient, sans la blesser trop profondément, l’indifférence du public, les refus des jurys d’expositions, les offres mesquines des marchands de tableaux, — cette vanité n’est qu’une ombre légère