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cette voie. Tout au contraire il use de l’ascendant qu’il a conservé sur elle pour la mander à son chevet, et lui faire abandonner définitivement la maison paternelle. Sherwin se trouve par là désarmé ; Margaret d’ailleurs meurt bientôt après, victime d’une maladie contagieuse qu’elle a contractée dans cet hospice où Mannion, son mauvais génie, a su l’attirer. Basil, toujours généreux, accourt auprès de la mourante, et protège de sa présence son horrible agonie. Mannion cependant trouve moyen d’y assister, lui aussi, mais invisible. Sur la fosse même de Margaret, Basil le retrouve encore, toujours menaçant, toujours attaché à ses pas, bien décidé à l’accompagner sans cesse, fantôme fidèle et sinistre. Cette persécution et l’avenir qu’elle annonce obsèdent l’esprit timide, l’imagination aisément frappée du malheureux jeune homme. En quittant Londres, ainsi qu’il l’a promis à son père, ainsi que le lui conseille Clara elle-même, il essaie de dépister Mannion : celui-ci cependant ne le perd pas de vue, et de temps en temps se rappelle à lui par quelque apparition terrifiante, par quelque calomnie adroitement semée. On ne sait comment finirait cette espèce de cauchemar, ou plutôt on est certain que Basil mourrait à la peine, si la haine et la vie de Mannion ne s’éteignaient en même temps dans un précipice, le long duquel, par une matinée brumeuse, il suivait, avec son acharnement habituel, les traces de sa victime terrifiée. Ainsi délivré, par une double intervention de la Providence, de sa honte et de ses terreurs, Basil vivra : il rentrera même dans le sein de sa famille lorsque la mort de son père aura levé l’interdiction qui l’en avait à jamais séparé ; mais il n’aura pas impunément, frêle et débile créature, supporté les atteintes redoublées du malheur, traversé des crises faites pour étonner les plus courageux. Comme ces jeunes sapins dont le poids des frimas a courbé la souple tige, et qui, ployés une fois, ne se relèvent plus, il gardera toute sa vie, voué à d’amers souvenirs, à une tristesse inguérissable, cette attitude humiliée, ce besoin de solitude auxquels se reconnaissent les élus du malheur.

Nous ne sommes rien moins que certain d’avoir fait ressortir toutes les qualités du livre que nous venons d’analyser. Par contre, nous craignons d’en avoir accusé rigoureusement les défauts. En nous demandant à quoi tient cette espèce d’injustice, nullement préméditée à coup sûr, il nous semble qu’elle s’expliquerait assez bien par le caractère même de ces défauts et de ces qualités. Les premiers sont dans la trame même du récit, et nous avons dû la montrer ; les seconds sont dans les couleurs brillantes et fraîches dont cette trame est revêtue : il ne nous était pas donné de les reproduire. Nous n’avons pu rendre tout ce que le début de Basil a de simplicité vraie et touchante. Il nous a bien fallu, malgré nous,