Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curieuse l’auteur et le héros de Basil, — et il espère aborder la vie d’écrivain par un succès éclatant, qui rendra excusable aux yeux de son père ce début dans une carrière inconnue à ses nobles ancêtres.

Le caractère de Basil est ainsi dessiné dès le commencement. On entrevoit un esprit élégant, mais sans beaucoup de portée, une imagination excitable, une âme délicate, facilement effrayée et dominée, une volonté faible qui, en face d’une volonté plus ferme, au lieu d’aborder franchement l’obstacle, louvoie, biaise et dissimule. Ce type était d’autant plus difficile à bien accuser, que Basil raconte, lui-même sa vie, et ne saurait avec vraisemblance s’analyser lui-même aussi strictement que, tiers désintéressé, nous l’avons pu faire.

Etant donné un jeune homme de cette trempe, si on le met aux prises avec une passion qu’il ne peut ni avouer ni gouverner, si on le place dans une situation compliquée en elle-même et que ses timides scrupules compliqueront encore, on obtient toutes les conditions d’un de ces drames intimes, plus tragiques qu’on ne le croirait au premier abord, et d’un intérêt d’autant plus puissant qu’il est plus concentré, plus individuel. Selon la poétique du roman comme on le concevait naguère, la rencontre fortuite qui met face à face, dans un vulgaire omnibus, ce jeune rêveur et la belle jeune fille appelée à faire battre son cœur pour la première fois, cette rencontre ne saurait inaugurer qu’une amourette de passage, à peine digne d’être racontée. Il n’en est pas de même à présent que chaque type, chaque exemplaire de notre race humaine a conquis le droit d’exposer les phénomènes particuliers de son existence, d’intéresser aux infirmités de son intelligence, aux lacunes de son caractère, aux crises intérieures des passions qui l’agitent.

Fasciné d’abord par la beauté splendide de son inconnue, par l’éclat de sa jeunesse, par le charme voluptueux de son regard à la fois timide et chargé de promesses ardentes, Basil se jette, éperdu, sur ses traces. Honteux lui-même de subir un charme si prompt, il lutte un instant, un instant bien court, contre cet entraînement juvénile. Puis cette curiosité qui va devenir de l’amour se trouve plus forte que sa résistance. Il revoit la jeune fille à son balcon, il s’abaisse au mensonge pour savoir qui elle est, il corrompt une domestique pour se procurer furtivement une minute d’entretien avec elle ; il lui parle enfin, et pour lui cette parole est une démarche décisive, une espèce d’engagement presque sacré. Elle lui répond, étonnée et confuse, mais sans dédain, sans colère, et sans lui donner ni raison de désespérer, ni motif de concevoir une espérance coupable. Ce premier pas fait, comment reculer ? Une seconde entrevue, dérobée encore, sera la dernière, si Basil, suffisamment encouragé, ne s’adresse pas aux parens de sa bien-aimée. Et à ceux-ci, à ces inconnus, que pourra-t-il dire, sinon : J’aime votre fille, accordez-moi sa main ?