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courtisans dont il est entouré veuillent le retenir à Mayenne, mais il veut rentrer dans Rome aussitôt qu’il aura rempli sa mission. Vainement prétend-on l’effrayer de l’approche des Goths ; Vetranio sourit à l’idée seule que leurs bandes indisciplinées puissent arriver sous les murs de la ville reine, et sa seule préoccupation est une fantaisie d’artiste. Désirant exécuter une statue de Minerve, il adopterait volontiers, comme type de la sévère déesse, une de ces blondes filles de la Germanie, renommées à la fois pour leur chaste retenue et pour leur beauté calme, imposante et rigide.

Ce culte plastique de la sagesse n’empêche pas Vetranio d’être au même moment plongé dans une intrigue (il l’appelle lui-même ainsi, bien que le mot, au Ve siècle, ait droit d’étonner), et cette intrigue, en peu de mots la voici. Près de son palais habite un obscur sectaire, connu sous le nom de Numérien. Cet homme est un chrétien enthousiaste, qui, frappé de la corruption peu à peu introduite dans l’église, a voué sa vie aux travaux d’une réforme à peu près impossible. En attendant qu’il l’ait propagée au dehors, il en pratique chez lui les rigoureux devoirs, et sa fille Antonina se trouve ainsi condamnée à mener, quoique appartenant encore au monde, la vie des religieuses les plus strictement cloîtrées. Or, s’il est des natures qui volent au-devant du joug, il en est pour lesquelles l’austérité chrétienne des premiers âges devait constituer un asservissement impossible à supporter. Par malheur pour Numérien, sa fille, douée d’une organisation tout exceptionnelle, ne saurait entrer librement dans l’aride voie où il la voudrait pousser. Tous les instincts qui font l’artiste éminent vivent en cette jeune fille, et se révoltent contre la volonté absolue qui la condamne à s’anéantir dans une longue prière. Aux sons du luth de Vetranio, Antonina, comme fascinée par la musique, est venue, sans que son père en ait rien su, et malgré ses ordres formels, exposer aux désirs du riche libertin la chaste beauté de ses seize ans. Le sénateur n’a aucun empire sur son âme : ses douces paroles, ses flatteries, elle les supporte, et c’est tout ; ses caresses, elle les repousse et s’y dérobe, plutôt indifférente qu’effarouchée ; mais quand Vetranio saisit son luth, quand il ouvre à son imagination les champs éthérés de la poésie, quand il s’adresse en elle, non pas à la jeune fille qu’il convoite, mais à l’artiste dont il fait en quelque sorte l’éducation, il reprend sur Antonina tout l’ascendant qu’il perdait à lui parler le langage de l’amour. Par sa nouveauté même, cette situation excite chez Vetranio des curiosités qu’il croyait amorties, et que chercheraient vainement à ranimer, par leurs complaisantes avances, les belles patriciennes au milieu desquelles se passe sa vie.

Sur ces données premières, qui forment ce qu’on peut appeler l’exposition du roman, un lecteur quelque peu au courant des formules littéraires anglaises devinera sans peine que l’intérêt du récit,