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En 1824, lorsque William Collins, marié depuis deux ans, vit naître son premier enfant, il pria Wilkie de le tenir sur les fonts baptismaux, et c’est ainsi que le nouveau-né d’alors peut mettre aujourd’hui sa candidature littéraire sous le double patronage de deux noms célèbres à titre égal. En effet, si Wilkie est plus populaire chez nous que Collins, il le doit principalement au genre familier de son talent, un peu parent de celui de Walter Scott, son compatriote. Il le doit à cette tendance du goût français, naturellement plus porté à observer les mœurs que les sites, plus amoureux de la pensée et de l’action que du paysage, plus acquis à l’étude de l’homme qu’à celle de la nature inanimée. Wilkie est mieux compris par ce côté réaliste de son talent, que la gravure a pu traduire sans le trop fausser. Collins, plus poète, plus paysagiste, introduit sans doute aussi l’élément humain sur ses fraîches toiles ; mais le site y domine les personnages, ingénieusement épisodiques, et quand il nous mène avec lui sur les blanches falaises de la côte, le long des grèves humides, ou devant un riant cottage au toit étincelant parmi les vapeurs matinales, c’est la physionomie de la mer, c’est la splendeur du ciel, ce sont les capricieuses ondulations de la brunie, qui sollicitent avant tout ses pinceaux curieux et chercheurs. Quant aux jeunes pêcheurs revenant pieds nus et pliés sous le poids de leurs filets, quant à la belle villageoise qui guette au loin sur les flots la voile bien connue de son père ou de son fiancé, quant aux enfans en haillons qui s’ébattent sur le seuil usé de la chaumière moussue, ils ne sont là que pour ajouter à l’harmonie du site une nuance de plus. Ils commentent, s’il est permis de s’exprimer ainsi, un texte qui au besoin se passerait d’eux ; ils expliquent le moment choisi par le peintre, indiquent le sens général du paysage, montrent à quelle heure de la journée et dans quelle région particulière de tel ou tel comté fut recueillie et transcrite cette page empruntée au grand livre de la création : rôle utile sans doute, mais secondaire, que n’ont jamais joué les personnages mis en scène par Wilkie. Ceux-ci tiennent le premier plan, et laissent au reste du tableau le rôle de simple décoration. Or il faut bien reconnaître que si le nombre des vrais amateurs, capables de goûter un simple paysage, d’en apprécier la vérité, d’en savourer la poésie, s’accroît chez nous de jour en jour, ce nombre était bien petit naguère (et surtout à l’époque où Collins et Wilkie rivalisaient de talent), comparé à celui des spectateurs qu’émeut et frappe une scène de la vie bourgeoise fidèlement et spirituellement reproduite, comme le Jour des loyers ou Colin-Maillard, les deux pages qui, dans l’œuvre de Wilkie, ont le plus contribué à établir sa réputation, d’abord en France, et par contre-coup en Europe. En Angleterre, Collins, éminemment Anglais, a pris une des premières