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de naturalistes que Réaumur son maître. On trouvera un bon exemple du talent et des procédés descriptifs propres à Bonnet dans ses chapitres sur les mœurs des chenilles qui vivent en société temporaire ou perpétuelle, sur les chenilles processionnaires que l’on voit sortir de leur nid au soleil couchant et marcher en procession sous la conduite d’un chef dont elles suivent tous les mouvemens, et sur ces autres chenilles qu’il appelle républicaines, vivant réunies, mais sans chef, qui se construisent des hamacs ou campent à la manière des Arabes sous des tentes, et vont recommencer plus loin quand elles ont dévoré tout le pays d’alentour.

On a souvent cité la méthode de Charles Bonnet comme un exemple de grande mémoire et de force de tète, et lui-même l’a décrite plus d’une fois dans ses lettres : « J’écris dans mon cerveau comme sur du papier. Je transcris ensuite de mon cerveau sur le papier en dictant à mon secrétaire. Ainsi peu ou point de ratures sur le papier, elles se font dans mon cerveau. Le croiriez-vous? Il n’y a pas une seule rature dans le manuscrit original de mon Essai analytique. Ne regardez pas ceci néanmoins comme un prodige : ce serait chose commune, si la plupart des gens de lettres étaient privés, par des maux d’yeux habituels, de la facilité d’écrire eux-mêmes. Ils en contracteraient bientôt l’habitude de méditer plus profondément, de se rendre maîtres de leurs idées, de les ranger à leur gré dans leur cerveau, de les y retenir des jours et des semaines entiers dans le même ordre, sans qu’il leur échappât un seul mot, et de les coucher sur le papier quand il leur plairait. Que ne peut point la nécessité aidée d’une certaine organisation et d’une certaine activité d’esprit! »

On entrevoit très bien, sans que Bonnet le dise, que la composition était pour lui une véritable improvisation oratoire, avec tous les avantages de facilité, d’abondance cadencée, et aussi tous les inconvéniens de prolixité, de diffusion, qui appartiennent à la parole improvisée. Après cela, on doit moins s’étonner peut-être de rencontrer dans les pages dictées par Bonnet l’emphase oratoire et la phraséologie sentimentale chères à son temps, mais dont les grands écrivains du XVIIIe siècle ont su mieux se défendre. Ce n’est pas un écrivain de génie qui, pour annoncer avec majesté le chef-d’œuvre de la création terrestre, l’homme pour tout dire, a trouvé cette exclamation faible et banale : « Contemplateurs des œuvres du Tout-Puissant, votre admiration s’épuise à la vue de ce merveilleux ouvrage. Pénétrés de la noblesse du sujet, vous voudriez en exprimer fortement toutes les beautés; mais votre pinceau trop faible ne répond pas à la vivacité de vos conceptions….. »

Et lorsque le contemplateur, frappé de tout ce que l’âme reçoit du sens de la vue, faisant un retour sur lui-même, plaint le malheur des