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Il y avait à Lamanosc un homme encore plus heureux que M. Cazalis, c’était Le sergent Tistet. Tistet avait une consigne, des ordres, un chef, et lui-même commandait en second. Il se sentait utile, nécessaire, à sa place, dans son élément. Actif, vigilant, ponctuel, toutes ses qualités sortaient et brillaient d’un vif éclat. Le sergent Tistet s’était procuré un bonnet de police à gland d’or, un ceinturon d’officier et des épaulettes d’argent. Le sabre dégainé, le registre sous le bras, il allait et venait de l’état-major aux corps de garde sans se lasser jamais, très occupé, très affairé, en homme qui a le goût, la passion de son métier, et dont toutes les facultés sont en exercice. Un mot d’ordre à renouveler d’heure en heure, des sentinelles à relever, des vedettes, des grand’gardes, les rondes, les patrouilles, l’inspection des armes, les vivres, les munitions, des feuilles de service à signer, le contrôle, des états en partie double, hommes et choses, tout était classé, immatriculé, contrôlé, et volontiers le sergent Tistet aurait encore doublé la besogne.

— Ah ! mon commandant, disait-il, quelle chance si nous avions seulement huit jours de siège pour faire manœuvrer nos recrues ! J’ai là des conscrits de quinze ans, et jusqu’à des enfans de troupe qui mordent la cartouche comme de vieux soldats. Voyez ce Cascayot, quels yeux résolus ! quelle belle tenue ! Il s’est coupé lui-même les cheveux à l’ordonnance. Comme il maintient les distances ! Qu’on ne s’avise pas de le troubler dans son service ; il fusillerait son propre père ! Ah ! mon commandant, je n’ai qu’une peur, c’est que ces paysans de Lardeyron et de Meyrenc ne reviennent plus à l’assaut, quand une fois nous les aurons repoussés. Peut-être serait-il sage, pour les allécher, de ne pas leur tuer trop de monde à la première affaire.


V.

Vers six heures, un grand bruit se fit entendre dans la rue ; c’était le curé qui forçait la consigne.

— A-t-il le mot d’ordre ? dit le sergent Tistet. Qu’on l’arrête.

Le curé était déjà devant les feux du bivouac, au milieu des groupes qui se formaient, car tous les hommes étaient réveillés et venaient s’aligner dans la rue des Piquenières pour l’inspection des armes.

— Sac à papier ! dit le sergent, que vient-il faire ici, le brave cher homme ? qui l’a demandé ? S’il veut travailler, qu’on le mette à la cloche, et qu’il nous envoie le sonneur ; ce sera toujours un homme de plus.

— Le meunier au moulin et le prêtre à l’église ! disait M. Lagardelle.