Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de génie, cette influence, librement acceptée, ne fut pas une infidélité. La tentation fut bien plus grave devant ce prestige incomparable du génie grec, qui devait séduire les parties les plus nobles du genre humain. Israël fut d’abord très profondément entamé. Les colonies juives établies en Égypte se laissèrent prendre au charme de l’hellénisme, rompirent la communion avec Jérusalem et sortirent presque entièrement de la famille israélite[1]. La Palestine elle-même subit d’abord l’action des Séleucides : on vit à Jérusalem un stade et des gymnases ; un parti puissant, qui comptait dans son sein presque toute la jeunesse, favorisait ces nouveautés, et, fasciné par l’éclat des institutions grecques, prenait déjà en pitié le culte et les habitudes austères des ancêtres. Cette fois encore pourtant l’esprit conservateur l’emporta : quelques vieillards obstinés et une famille de héros sauvèrent la tradition à laquelle le monde allait bientôt se rallier.

La mesure du danger nous est donnée par celle de la haine. Malheur à ceux qui essaient de s’opposer au libre développement des besoins religieux de l’humanité ! Les mémoires historiques les plus sacrifiées sont celles des souverains qui, n’ayant pas su bien deviner l’avenir ou ayant follement entrepris de l’arrêter, se sont faits les persécuteurs des mouvemens religieux qui devaient triompher ; tels furent Antiochus, Hérode, Dioclétien, Julien, tous grands princes selon la terre, que la conscience populaire a damnés sans pitié. Cet Antiochus Épiphane, dont le nom est irrévocablement associé à celui de Néron, était un prince humain[2], éclairé, qui ne voulait sans doute que le progrès de la civilisation et des arts de la Grèce. Les rudes moyens qu’il employa étaient ceux que les Grecs et les Romains incitaient en usage partout et toujours pour faire plier devant eux les civilisations différentes de la leur. Ayant longtemps demeuré à Rome comme otage, Antiochus revint en Syrie la tête pleine des idées de la politique romaine et rêvant un empire d’Orient fondé, comme celui de Rome, sur l’assimilation des nationalités et l’extinction des variétés provinciales. La Judée était le premier obstacle qu’il devait rencontrer dans l’exécution de ce projet. Le sacerdoce était en ce moment fort affaibli ; le grand-prêtre Jésus, qui pour suivre la mode se faisait appeler Jason, s’oublia jusqu’à envoyer une théorie aux jeux héracléens de Tyr ; le temple fut mis au pillage ; un moment Jupiter Olympien y eut son autel, et des bacchanales parcoururent les rues de Jérusalem. Alors commença cette résistance héroïque

  1. Il est remarquable que Philon et les Juifs d’Égypte n’ont laissé aucune trace dans la tradition du Talmud : aujourd’hui encore les vrais Juifs les regardent à peine comme des coreligionnaires.
  2. Voyez le témoignage du livre même des Macchabées, I, ch. VI, v. 11.