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de son idée religieuse. Aucune des distractions profanes auxquelles il s’était par momens attardé ne le troublera désormais. Plus un doute, plus une révolte, plus une tentation d’idolâtrie : le paganisme ne lui inspire plus que les amères et hautaines dérisions du Livre de la Sagesse. Le judaïsme va se resserrant et se fortifiant de plus en plus. La liberté, la simplicité de l’antique génie hébreu, si étranger à tout scrupule de théologie et de casuistique, font place aux petitesses du rabbinisme. Le scribe succède au prophète. Un sacerdoce plus fortement organisé étouffe toute vie profane : la synagogue devient ce que sera plus tard l’église, une sorte d’autorité constituée contre laquelle vient se briser toute pensée indépendante. Le piétisme se développe et produit une littérature bien affaiblie, si on la compare aux productions de l’époque classique, mais encore pleine de charmes ; quelques psaumes tendres et touchans, aliment éternel des âmes pieuses, et les jolis romans de Tobie et de Judith sont de cette époque. Que l’on compare l’honnête Tobie à Job, frappé comme lui de douleurs imméritées : un monde les sépare. Ici, la patience, la vertu récompensée, de douces et consolantes images ; là-bas, la révolte, la dispute, le désespoir, et le fier sentiment de l’Arabe disant dans le malheur : « Dieu est grand ! » sentiment qui n’a rien de commun avec la vertu toute chrétienne de la résignation. Une grande indifférence pour la vie politique fut la conséquence du zèle étroit et sévère qui caractérise les temps dont nous parlons. Israël n’était pas chargé d’enseigner au monde la liberté ; aussi, depuis la captivité, le voyons-nous s’accommoder volontiers d’une position subordonnée et ne songer qu’à exploiter les avantages que lui offrait cette situation, sans paraître se douter qu’elle eût rien de honteux. Pendant que la Grèce, avec des ressources de bien peu supérieures à celles de la Palestine, faisait remporter à la liberté sa première victoire, Israël se résignait à n’être qu’une province du grand roi, et s’en trouvait assez bien. C’est là, il faut l’avouer, le mauvais côté de l’histoire juive. Nullement faits pour la vie politique, n’étant jaloux que de leur liberté religieuse, les Juifs acceptèrent tous les régimes qui montrèrent pour leur culte quelque tolérance, et donnèrent à tous les despotismes des serviteurs d’autant plus dévoués qu’ils n’étaient retenus par aucune responsabilité envers la nation. L’empire chaldéen leur fut, il est vrai, toujours odieux, et ils accueillirent sa ruine avec des cris de joie, sans doute parce que cet empire militaire et tout profane n’avait rien qui répondit à leur propre nature. Ils acceptèrent au contraire comme un bienfait la domination des Perses, dont la religion était la moins païenne du monde païen, et offrait par sa gravité, sa tendance au monothéisme, son horreur pour les représentations figurées, beaucoup