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Qu’y vit le prophète innommé[1] qui fut à ce moment décisif l’interprète de la pensée d’Israël ? Les rêves du malade, qui, dans les accès de la fièvre, voit se dérouler devant lui un autre monde et briller un autre soleil, n’eurent jamais de pareilles ardeurs. On ne peut qu’indiquer le motif de ces hymnes divins par lesquels l’illustre inconnu salua la nouvelle Jérusalem : « Lève-toi, resplendis, Jérusalem !… » — « Voix qui crie dans le désert : préparez les voies de Jéhovah, aplanissez ses sentiers !… » — « Qu’ils sont beaux sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce le salut !… » — « Cieux, répandez votre rosée, et que les nues versent la justice… » — « Quel est celui-ci qui vient d’Édom, qui arrive de Bosra les habits rouges de sang ?… » — puis, dans une obscure et mystérieuse vision, cette sublime apothéose de l’homme de douleur, le premier hymne à la souffrance que le monde ait entendu. Nulle part n’éclate mieux que dans ces pages inspirées le don spécial d’Israël, la foi, cette conscience de sa supériorité qui survivait à toutes les défaites, cette certitude de l’avenir qui donna à une poignée de captifs l’assurance d’affirmer que le monde leur appartiendrait un jour. « Lève tes yeux à l’entour et regarde, Jérusalem, ces foules qui viennent et se rassemblent : des fils te sont amenés des contrées lointaines, des filles se pressent sur ton sein. Une multitude de chameaux, les dromadaires de Madian et d’Epha te débordent ; ceux-ci viennent de Saba, portant l’or et l’argent et annonçant les louanges de Jéhovah. Les troupeaux de Cédar accourront vers toi ; les béliers des Nabatéens s’offriront d’eux-mêmes pour tes sacrifices. Quels sont ceux-ci qui volent comme des nuées, comme des colombes vers leur abri ? Les îles de la mer sont dans l’attente ; les vaisseaux de Tartesse sont prêts pour t’amener des fils. Des étrangers s’offriront pour bâtir tes murailles ; les rois se feront tes serviteurs. Tes portes seront ouvertes nuit et jour pour laisser entier l’élite des nations et les rois amenés pour te rendre hommage. Les fils de ceux qui t’ont humilie viendront courbés vers toi ; ceux qui te méprisaient baiseront la trace de tes pieds et t’appelleront Cité de Dieu, sainte Sion d’Israël. Tu suceras le lait des nations, tu t’allaiteras à la mamelle des rois. On n’entendra plus parler d’iniquité sur ta terre, ni de désastres dans tes frontières ; la paix régnera sur tes murs, la gloire siégera à tes portes. Tu n’auras besoin ni de soleil pour éclairer tes jours, ni de lune pour illuminer tes nuits : ton soleil ne se couchera jamais, et ta lune ne connaîtra plus de déclin, car Jéhovah sera ta lumière éternelle, et les jours de ton deuil seront passés à jamais. »

À partir de ce moment, Israël nous apparaît exclusivement possédé

  1. Celui dont les ouvrages ont été mis à la suite du recueil d’Isaïe.