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bien plus en harmonie avec le génie et la vocation du peuple hébreu, devait nécessairement triompher et empêcher la royauté laïque de prendre jamais de sérieuses racines en Israël.

Ce qu’il importe de remarquer, c’est que l’autorité prophétique, si hostile à la royauté, ne l’est guère moins au sacerdoce. Le prophète[1] ne sort pas de la tribu de Lévi ; il n’enseigne pas dans le temple, mais sur les places, dans les rues et les marchés ; il ne tient sa mission que de Dieu et représente les intérêts populaires contre les rois et les prêtres, souvent alliés aux rois. De là un genre de pouvoir sans analogue dans l’histoire d’aucun peuple, une sorte de tribunat inspiré, voué à la conservation des anciennes idées et des anciens droits. On ne peut nier que la politique des prophètes ne se présente souvent à nous comme étroite et opposée au progrès ; mais c’était la vraie politique d’Israël. Certes elle paraît d’abord importune, cette voix austère et monotone du prophète prédisant toujours des ruines, anathématisant les instincts qui entraînaient l’homme antique vers le culte de la nature. Souvent, dans cette longue lutte des rois et des prophètes, c’est aux rois que nous sommes tentés de donner raison. L’opposition de Samuel contre Saül est d’ordinaire peu sensée, et si les prophètes adressent parfois à David de très justes avertissemens, quand ils rappellent à la morale ce grand roi, qui était trop porté à l’oublier, on ne peut nier que souvent aussi leurs reproches ne révèlent une politique bien naïve, — par exemple, quand ils présentent comme un crime capital le recensement ordonné par David, et qu’ils veulent faire envisager les calamités qui le suivirent comme une punition de cette mesure, sans doute peu populaire. Plusieurs des rois présentés par les auteurs sévères du Livre des Rois et des Paralipomènes comme des scélérats étaient peut-être des princes raisonnables, tolérans, partisans d’alliances nécessaires avec l’étranger, obéissant aux besoins de leur temps et à un certain penchant pour le luxe et l’industrie. Les prophètes, pleins du vieil esprit sémitique, ennemis ardens des arts plastiques, iconoclastes fougueux, hostiles à tout ce qui entraînait Israël dans le mouvement du monde, demandaient aux rois des persécutions contre les cultes qui s’éloignaient du monothéisme, et leur reprochaient comme des crimes contre Dieu leurs alliances les plus sensées. Jamais opposition ne fut plus acre, plus violente, plus anarchique, et pourtant au fond l’opposition avait raison. Dès que l’on part de ce principe qu’Israël n’avait qu’une vocation, la conservation du monothéisme, la direction

  1. Nous regrettons d’être obligé d’employer le mot prophète, qui ne date que des traducteurs grecs de la Bible, et pourrait faire croire que la prédiction de l’avenir était la fonction essentielle de ces hommes inspirés. Il serait préférable, au moins pour les époques anciennes, de les appeler voyans, ou de leur conserver le nom sémitique de nabi.