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plusieurs circonstances le prophète obéit plutôt à sa passion qu’à son devoir, ne peuvent s’expliquer que par cette espèce de relâchement qui rend les Orientaux profondément indifférens sur le choix des moyens, quand ils ont pu se persuader que le but à atteindre est la volonté de Dieu. Notre manière désintéressée et pour ainsi dire abstraite de juger les choses leur est complètement inconnue.

Il serait donc contraire à une bonne critique de discuter avec malveillance, comme l’ont fait Bayle et Lessing, ou avec bouffonnerie, comme l’a fait Voltaire, tant d’actes de la vie de David qui en bonne morale ne sauraient être justifiés. Sa conduite envers Saül est au moins équivoque. Après la mort de Saül, le trône appartenait à son fils Isboseth ; toutes les tribus, à l’exception de Juda, se groupaient autour de lui : la trahison et l’assassinat délivrent bientôt David de ce rival. Grâce à la faveur sacerdotale et à de fortes institutions militaires qu’il semble avoir empruntées aux Philistins, chez lesquels il avait fait un long séjour, peut-être aussi au moyen de milices étrangères soudoyées[1], le nouveau roi réalisa son idée dominante, la suprématie de la tribu de Juda, une royauté forte, héréditaire dans sa maison, ayant son centre à Jérusalem. Cette future capitale du monde religieux n’avait été jusque-là qu’une bourgade fortifiée ; David en fit « une ville dont les maisons se touchent. » A sa mort, le vieux roi avait écrasé tous ses adversaires, réalisé tous ses projets, et put répéter avec orgueil ce chant de guerre du temps de sa jeunesse, qui nous étonne par sa fière et brutale énergie :


« Jéhovah a dit à mon maître : « Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. »

« Jéhovah étendra de Sion le sceptre de ta puissance ; domine au milieu de tes ennemis.

« Ton peuple est accouru à ton appel dans l’éclat des saints ornemens ; la jeunesse qui l’entoure est comme une rosée qui sort du sein de l’aurore.

« Jéhovah l’a juré, et il ne s’en repentira pas : tu es prêtre pour jamais à la manière de Melchisedech.

« Le Seigneur est à ta droite : au jour de sa colère, il brise les rois.

« — Il régnera sur les nations, il remplira tout de cadavres, il brisera des têtes sur une vaste étendue.

« Il se rafraîchira dans sa route à l’eau d’un torrent ; par-là il relèvera sa tête. »


Cette royauté profane, contraire, à beaucoup d’égards, à la vraie destinée d’Israël, se continua durant tout le règne de Salomon. Le trône de David, selon les règles de la stricte hérédité, appartenait à

  1. C’est du moins l’explication que l’on donne du nom de Cari (Cariens ?) et de Crethi-Plethi (Cretois ? Philistins ?) que portaient les gardes du corps de David. Les Cariens faisaient dans tout le monde ancien le métier de mercenaires, et les Philistins, selon une hypothèse très vraisemblable, sont venus de la Crète.