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l’œuvre d’un opposant : la royauté y est présentée sous le plus mauvais jour et hautement mise au-dessous des anciennes formes patriarcales. Il n’est pas impossible que ce récit soit de la main même de Samuel ; les chapitres du livre qui porte son nom, où son rôle politique est exposé, ont un caractère si personnel, qu’on est tenté de croire qu’il en est lui-même l’auteur. Ce qu’il y a de certain, c’est que Samuel, retirant d’une main ce qu’il avait donné de l’autre, ne sortit jamais d’un système de taquineries contre la royauté, qu’il avait inaugurée avec répugnance et pour céder aux exigences de la foule. La royauté, inexpérimentée et n’ayant aucune tradition, fut d’abord son jouet. Enfin l’homme destiné à résumer ces tendances contraires et à former le nœud de l’histoire du peuple hébreu, par la réunion en sa personne du sacerdoce, du prophétisme et de la royauté, David, paraît et devient le représentant de l’idéal poétique, religieux, intellectuel, politique d’Israël.

Des contrastes bizarres frappent au premier coup d’œil celui qui essaie de se rendre compte du caractère de David d’après les idées épurées que nous nous faisons de la moralité. Comment l’homme que nous retrouvons, aux différentes époques de sa carrière agitée, tour à tour servant l’étranger contre sa patrie, infidèle envers ses alliés, associé à des brigands, souillé de tous les crimes domestiques, a-t-il pu passer dans la tradition d’Israël pour un roi selon le cœur de Dieu, et fut-il en effet un admirable organisateur politique et religieux, l’auteur de ces psaumes où les sentimens les plus délicats du cœur sont arrivés à leur plus fine expression ? Comment les mœurs d’un condottiere ont-elles pu s’unir à une vraie grandeur d’âme, à la piété la plus exquise, à la poésie la plus sentimentale ? Comment l’homme qui sacrifie à un caprice adultère son plus fidèle serviteur put-il se persuader avec une entière bonne foi que Jéhovah était son protecteur spécial, obligé à le faire réussir et à le venger de ses ennemis, comme si Dieu n’existait que pour lui ? Tous ces traits seraient inexplicables, si on ne les rapportait au caractère sémitique, dont David est le type accompli dans ses bonnes comme dans ses mauvaises parties. Essentiellement égoïste, le Sémite ne connaît guère de devoirs qu’envers lui-même : poursuivre sa vengeance, revendiquer ce qu’il croit être son droit, est à ses yeux une sorte d’obligation. La religion n’a pour lui qu’un lien fort éloigné avec la morale de tous les jours. De là ces étranges caractères de l’histoire biblique qui provoquent l’objection, et devant lesquels l’apologie est aussi déplacée que le dénigrement. Les actes de la politique la moins scrupuleuse n’empêcheront pas Salomon d’être reconnu le plus sage des rois. Le mélange bizarre de sincérité et de mensonge, d’exaltation religieuse et d’égoïsme, qui nous frappe dans Mahomet, la facilité avec laquelle les musulmans avouent que dans