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les détails d’ornementation sont traités avec un soin scrupuleux que je me plais à reconnaître. Les tasses et les soucoupes n’offrent pourtant d’autre intérêt que l’emploi heureux des parties mates et des parties brunies. La théière est conçue dans les mêmes conditions. La fontaine est seule garnie de figures ; c’est donc le seul morceau qui mérite une étude spéciale. Ces figures ne sont pas d’un style très pur, cependant la main qui les a modelées est évidemment une main habile ; mais qui a conçu, qui a exécuté cette fontaine ? M. Durand a négligé de nous l’apprendre, et, selon nous, c’est un tort très réel. Quoique M. Durand n’ait jamais essayé, comme M. Froment-Meurice, de se placer à côté de Benvenuto Cellini, quoiqu’il se donne pour orfèvre et non pour sculpteur, il eût agi plus sagement en nous livrant le nom de l’auteur. Les figures de la fontaine se terminent à mi-corps. Pourquoi ? Je n’en sais rien, et sans doute M. Durand serait fort embarrassé de nous le dire. Elles ne portent rien et se détachent sur le fond comme de purs ornemens, de telle sorte qu’elles ne sont pas motivées. Je ne demande pas qu’une fontaine à thé soit soutenue par des cariatides ; il n’y aurait aucune proportion entre le moyen et le but. Cependant, dès qu’on se résout à introduire des figures dans une pièce d’orfèvrerie, il faut que leur mouvement s’explique de lui-même ; or dans la fontaine de M. Durand je ne trouve rien de pareil : elles n’éveillent qu’un médiocre intérêt, parce qu’elles sont inutiles. À parler franchement, le développement de ces figures n’est pas en rapport avec la richesse de la matière et les dimensions de la fontaine. J’aurais aimé à voir sur la panse du vase quelque scène mythologique. Un Florentin du bon temps, chargé d’un travail de cette importance, n’eût pas manqué d’interroger, avant de se mettre à l’œuvre, la Théogonie d’Hésiode ou les idylles de Théocrite, et, au bout de quelques heures, il aurait rencontré sans peine un sujet gracieux ou touchant ; mais aujourd’hui, étant donné les habitudes de l’orfèvrerie française, qui est pourtant la première du monde et dont les œuvres surpassent en élégance les travaux du même genre accomplis chez les autres nations de l’Europe, comment espérer qu’Hésiode ou Théocrite soient consultés pour le modèle d’une fontaine ? Les orfèvres les plus accrédités s’adressent presque toujours à des ouvriers au lieu de s’adresser à des sculpteurs, et les sculpteurs, pour la plupart, ne sont pas assez lettrés pour puiser aux sources de l’antiquité. Ainsi de quelque côté que nous portions nos regards, que nous explorions le champ de l’art pur ou le champ de l’industrie, nous retrouvons les conséquences fâcheuses d’une éducation incomplète. Qu’il s’agisse d’une statue de six pieds ou d’une pièce d’orfèvrerie, la nécessité des études générales se représente à nous avec la même