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même ce qu’il signait de son nom, et les œuvres composées, exécutées par lui, sont demeurées comme des modèles d’élégance et de finesse. Or, si M. Froment-Meurice a signé de son nom des châtelaines, des agrafes, des salières élégantes, les hommes du métier savent très bien que ces pièces d’orfèvrerie n’ont été ni conçues ni exécutées par lui. Il a fourni le métal et acheté le travail d’autrui. C’est là toute la part qui lui appartient. Quand il s’est adressé à MM. Feuchères et Klagmann, il a réuni de nombreux suffrages ; lorsqu’il a eu recours à des artistes moins habiles, il n’a pas obtenu le même succès, mais il n’a jamais pu compter sur lui-même pour soutenir le crédit de son nom. Je n’ai cité que MM. Feuchères et Klagmann ; j’en pourrais citer bien d’autres, moins connus du public et doués cependant d’un talent très réel. Cette méprise n’a déjà que trop duré ; il est temps de rétablir les faits dans leur vérité. Qu’un fabricant bien achalandé néglige de nommer les artistes qu’il emploie, qui sont la source de sa richesse, je ne l’approuverai pas ; qu’il se laisse donner pour l’auteur des œuvres qui ne sont pas sorties de ses mains, c’est un tort plus grave encore, et qui doit être plus sévèrement qualifié. J’aime à croire que le fils de M. Froment-Meurice suivra une autre méthode pour établir sa réputation.

Je n’ai rien à dire des diamans, des rubis et des émeraudes qui ornent sa vitrine. L’art proprement dit n’a pas grand’chose à voir dans la sertissure de ces pierres précieuses. Le talent du lapidaire, qui certes a bien sa valeur, n’est pas de ma compétence. Le talent du monteur, qui met en relief celui du lapidaire, ne peut guère être apprécié que par ceux qui connaissent les difficultés de la profession. Aussi m’abstiendrai-je d’en parler. Je me contenterai d’examiner dans la vitrine de M. Froment-Meurice les morceaux où le dessin joue le principal rôle. Deux figures en ivoire attirent les regards des curieux : une Vénus anadyomène et une Léda. Qui a modelé ces figures ? qui a taillé l’ivoire ? A cet égard, le livret ne nous donne aucun renseignement. La Vénus n’est pas d’un style très élégant ; le torse et les membres laissent beaucoup à désirer pour la souplesse et la beauté. La draperie d’argent noirci dont la déesse est affublée ne me semble pas motivée. La ceinture composée de pierreries est une invention du goût le plus fâcheux. Les enfans qui entourent la coquille d’Aphrodite ne valent pas les enfans de François qu’on voit chez tous les mouleurs. Quant au triton qui se trouve là je ne sais pourquoi, il a le malheur de rappeler le centaure Nessus de Guido Reni, popularisé par la gravure de Bervic. Que pourrais-je donc louer dans cette Vénus ? La conception est d’une évidente faiblesse ; la main qui a taillé l’ivoire est sans doute une main habile, mais l’adresse dans le maniement de l’outil ne suffit pas pour l’achèvement