Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/735

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’opulence est venue entraver le développement du style nouveau. Quand je dis style nouveau, je me sers d’une expression qui n’est pas parfaitement exacte, car si dans l’ébénisterie, l’orfèvrerie et les bronzes, les habitudes de la restauration différaient de celles du consulat et de l’empire, elles n’étaient pas nouvelles dans le sens vrai du mot. On cherchait dans l’ameublement, dans la décoration des appartemens, dans la vaisselle plate la résurrection du passé. À parler franchement, personne ne songeait à créer des modèles sans ressemblance avec les œuvres connues. Cependant ces tentatives de pure imitation méritaient plus d’une louange. Les grandes époques de l’art français trouvaient dans le bois et le métal des interprètes fidèles. Plus tard, il est vrai, les époques de décadence ont été copiées avec le même empressement ; mais on pouvait, on devait pardonner le style Louis XV en voyant que le style de la renaissance et le style Louis XIV jouissaient à peu près d’une égale faveur. Puis est venu le style Louis XVI, un peu moins corrompu que celui du règne précédent, mais qui par cela même était plus dangereux. Aujourd’hui l’ébénisterie, l’orfèvrerie et la fonte en bronze ont simplifié leurs procédés et produisent à bon marché ; je ne crois pas qu’on puisse dire qu’elles soient en progrès. Le seul principe qui domine dans ces trois arts, c’est le plus souvent la confusion des styles. Les hommes voués à l’exercice de ces trois professions ne paraissent pas comprendre le mérite de l’unité. Ils se confient dans l’ignorance des acheteurs, et les acheteurs à leur tour ne consultent guère que le goût des fabricans.

À cet égard, les témoignages abondent. Quand on aperçoit sur une cheminée ou sur une table un bronze ou une pièce d’argenterie d’un style impossible à définir, si l’on prend la peine d’interroger le maître de ces trésors qui le rendent si heureux, on n’obtient guère que cette réponse : « Je ne m’y connais pas, je m’en suis rapporté au fabricant, qui est un homme de goût. » Je pourrais citer un banquier célèbre dans toute l’Europe par sa richesse, qui croit de bonne foi aimer les arts, qui les encourage comme s’il les aimait, et dont l’hôtel rappelle tour à tour Amboise, Fontainebleau et Versailles. Il est enchanté de cette décoration variée, et pour réaliser ces prodiges il a dépensé plus d’un million. Je me hâte d’ajouter que s’il eût employé l’ébène, le cuivre, le marbre et le stuc au lieu d’employer la pâte de carton, dix millions auraient à peine suffi pour contenter sa fantaisie. Si un jour ses yeux venaient à se dessiller, s’il comprenait que la décoration de son hôtel est décidément trop variée, aurait-il le droit de se plaindre ? Il a voulu se donner un palais à bon marché, il en a pour son argent.

C’est en effet dans le sacrifice à peu près constant de l’être au