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choses de la vie, l’amitié, l’abnégation, le désintéressement. C’est là la persécution, et quoi qu’en dise le vulgaire, l’auteur de Lélia et de l’Histoire de ma vie continuera à s’enivrer des délices du bien, à se vouer au culte de l’idéal et à savourer les voluptés de la vertu. Pourquoi serait-il défendu à l’art de montrer le juste, qui est le seul être réel et vrai ? — Quel rapport peut-il y avoir exactement entre cette confession dithyrambique et Favilla ? C’est ce qu’il serait difficile de dire. Malheureusement Mme Sand s’est fait une habitude de ces grands mots qui représentent en effet les plus grandes choses de la vie humaine. C’est une sorte de rhétorique à l’aide de laquelle tout se transforme et se confond, et qui n’a pas même le mérite d’être inoffensive, car ce que l’auteur appelle l’idéal et la vertu n’est souvent que le culte de choses très réelles et l’émancipation de toute règle. Mme Sand a été assurément une imagination éloquente, un talent séduisant, même dans les peintures les plus périlleuses : on ne pouvait lui reprocher sans doute de créer des personnages trop vertueux ; mais elle avait la passion et cette puissance émouvante de la jeunesse dans ses inventions romanesques. Aujourd’hui elle fait des drames comme Favilla et des préfaces comme celle qu’elle vieut d’écrire. Il en est de ce talent comme de bien d’autres qui portent dans des conditions nouvelles des forces épuisées. L’inspiration d’autrefois est visiblement tarie ; elle a produit tout ce qu’elle pouvait produire, et elle est allée s’égarer dans tous les excès.

Il y a pour l’esprit une double école, celle des idées justes qui sont l’éternel patrimoine de la race humaine et celle des faits, des grands faits qui s’accomplissent incessamment dans le monde. La réalité corrige l’excès des illusions, tempère les entraîne mens chimériques, et offre le spectacle de tous les peuples se développant à la fois avec leurs conditions diverses, leurs tendances et leurs mœurs. Il y a une histoire permanente que les journaux écrivent chaque matin et qui se modifie sans cesse par sa nature : celle-ci est trop prompte et trop morcelée ; l’histoire qui attend que les événemens soient refroidis et qui vit du passé est lente à venir. Entre ces deux histoires n’en est-il point une autre qui marque des étapes pour ainsi dire, mesure périodiquement la carrière parcourue, résume les faits, les résultats accomplis, et crée comme un moyen de s’orienter dans le mouvement universel ? C’est à cela que tend un travail poursuivi avec persévérance, — l’Annuaire des Deux Mondes, qui paraît aujourd’hui pour la cinquième fois. Il n’a point cessé, ce nous semble, d’être fidèle à la pensée qui l’a fait naître. Politique générale, crises intérieures, relations internationales, finances, industrie, commerce, littérature, — l’Annuaire embrasse tous ces élémens de l’existence des nations contemporaines ; il les coordonne et montre ce qui s’est accompli dans cette année de 1854 à 1855, qui n’a point été certes la moins féconde parmi les années de notre siècle. Qu’un observe l’état du monde durant cette année : au premier rang, c’est la guerre qui se déroule avec ses péripéties militaires et diplomatiques. L’Angleterre et la France soutiennent la cause de la civilisation en Crimée et à Vienne. L’Autriche après avoir fait le grand pas du 2 décembre 1854, se réfugié dans ce système d’irrésolution ou de dextérité périlleuse qui la laissé jusqu’ici immobile, et pendant ce temps elle débrouille ses finances. L’Italie, toujours agitée, ressemble à une menace permanente. La Grèce est le jouet de ce triste rêve qui la jeta l’an dernier