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tère. Chaque époque à son problème sans doute. Ce qui rend celui de notre siècle plus redoutable, c’est la dépression des sentimens, l’altération des idées, l’incohérence des esprits et des âmes. Aussi ceux-là seront les vrais penseurs, les guides salutaires et bien inspirés, qui contribueront à rétablir le bienfaisant empire des saines notions morales, du bon sens et même du goût, dont le dépérissement est un des signes des révolutions contemporaines. Si ces lois souveraines eussent régné au point d’être un frein suffisant, Mme Sand n’eût point écrit sans doute ce qu’elle a appelé l’Histoire de ma vie ; elle eût laissé dans une ombre discrète toutes ces confidences calculées et arrangées, qui ne sont ni de l’histoire, ni du roman, et qui restent une des plus tristes aberrations de notre littérature. Si le goût, un goût sévère et juste, parlait à son esprit, elle multiplierait moins ses œuvres dramatiques, et elle ne les commenterait pas surtout dans des préfaces où elle fait tout à la fois l’apothéose de l’auteur et du comédien qui personnifie ses inventions. Maître Favilla est le dernier venu des drames de Mme Sand, et il n’est point certes le plus heureux ; il a eu son jour au théâtre, c’est assez pour sa fortune. Ce maître Fa villa, que l’auteur a fait « simple et bon, » selon son propre langage, que le comédien a fait « grand et poétique, » et qui est comparé aux types saisis sans des plus belles légendes d’Hoffmann, — ce maître Favilla, disons-nous, est en réalité un pauvre musicien qui à la monomanie de se croire l’héritier d’un opulente succession et qui se réveille de sa folie au bon moment, lorsque la comédie est assez engagée pour que sa fille épouse le fils de l’héritier véritable. Ce n’est point, on le voit, la puissance des combinaisons qui fait L’intérêt du drame de Mme Sand ; ce n’est point non plus l’analyse intime et émouvante de quelque sentiment profond de l’âme humaine. Est-ce plutôt une étude de caractère ? Ici on aperçoit peut-être une idée que l’auteur a déjà semée dans bien des fictions romanesques:c’est la supériorité de l’artiste sur tous les autres hommes et l’excellence de l’artiste exécutant, du musicien, du chanteur, du comédien, parmi tous les autres artistes. Seulement les artistes, tels que les peint M me Sand, ressemblent un peu à ses paysans; ce sont des êtres de fantaisie, un composé étrange de simplicité affectée et de déclamation, un mélange d’idylle et de lyrisme prétentieux, et, s’il faut tout dire, c’est du Florian d’une nouvelle espèce. Mme Sand fait ses bergers dans le genre social et humanitaire, et à ses types de toutes les perfections elle oppose le bon sens sous la forme de quelque philistin honteux et conspué ; dans Favilla, c’est le bourgeois Keller.

Le drame de Mme Sand est moins curieux encore par lui-même peut-être que par sa préface. Il arrive fréquemment de nos jours que certains talens parviennent à combiner l’excès des prétentions et l’inanité des œuvres. 11 arrive souvent aussi que dans certains esprits il s’opère la plus étrange confusion de toutes les idées, de toutes les notions. Favilla et sa préface réalisent sous ce double rapport tout ce qu’on peut imaginer. Depuis qu’elle s’est posée en émule de Jean-Jacques en confessant les fautes des autres et en publiant ses vertus, Mme Sand croit être en butte à une véritable persécution. Oui sans doute, elle a entendu dire de tous côtés que les bonnes natures et les actions généreuses sont des fantaisies insupportables, qu’elle a créé dans sa vie d’artiste des personnages trop aimans, trop dévoués, trop vertueux, qu’elle est, en un mot, le don Quichotte de toutes ces grandes et douces