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Les lois ne sont quelque chose que par les fonctionnaires qui les font exécuter et qui donnent à tous l’exemple du respect pour elles. C’est à ce prix seulement que peuvent être déracinés dans toute l’étendue de L’empire turc des abus aussi anciens que lui, des tyrannies héréditaires et locales à l’ombre desquelles languissent les populations opprimées, des corruptions et des dilapidations monstrueuses qui laissent L’état aussi pauvre que ses sujets. Nous supposons ici, comme on le voit, qu’à Constantinople au moins, que chez le sultan, autour de lui, dans ses conseils, dans toutes les administrations générales d’où part l’impulsion, domine ce que nous appelons l’esprit de la réforme, c’est-à-dire la volonté de gouverner avec une probité sévère, sans exclusion de races ou de cultes, sans préjugés nationaux ou religieux, dans l’intérêt et jusqu’à un certain point avec le concours de tous les habit tans de l’empire. Malheureusement, s’il fallait, en croire un opuscule singulier que nous avons sous les yeux, et qui porte le titre ambitieux de Confidences sur la Turquie, un grand nombre des hommes que nous regardons comme destinés à régénérer leur pays ne mériteraient ni l’estime ni la confiance qu’ils ont réussi à surprendre. Leurs sentimens seraient égoïstes et sordides ; leur intelligence ne serait, pas plus que leur caractère, à la hauteur de la mission qu’ils s’attribuent ; vanité, cupidité, passions mesquines, immoralité profonde, voilà ce que couvrirait un vernis de civilisation exploité à grands frais, avec un talent consommé dans l’intrigue et le charlatanisme. Nous ne mettrons pas une légende au bas de ce tableau, dont les couleurs sont trop chargées, en tout état de cause, pour inspirer beaucoup de confiance, et qui est le manifeste d’une sorte de guerre civile dans la famille et les conseils du sultan ; mais on ne peut se défendre d’une impression douloureuse et d’un pressentiment fâcheux en voyant les sommités politiques d’une société — qui compte si peu d’hommes capables de la diriger et de relever leur nation — partagées en deux factions si acharnées l’une contre l’autre, qui s’accusent réciproquement des plus honteuses infamies, et qui aspirent à entraîner dans leurs querelles les représentais des alliés de leur souverain. Nous n’avons pas, on le pense bien, de parti à prendre dans cette ardente polémique qui s’adresse exclusivement au public euroi. Nous nous bornerons à la déplorer dans l’intérêt de la Turquie, car il en restera plus d’un soupçon déshonorant pour les premiers noms de Constantinople. Les esprits chagrins et méfians dont l’injuste agression de la Russie a momentanément fait taire les préventions contre les races orientales se reprendront, sur de pareilles révélations, à croire les Turcs tombés dans une irrémédiable décrépitude, et nous nous demandons nous-mêmes avec anxiété ce que deviendrait l’empire ottoman, dans la crise de rénovation intérieu qui se prépare pour lui, s’il ne pouvait pas compter sur plus de patriotisme, de lumières et de vertus dans la sphère la plus élevée de la nation que les deux factions rivales de Réchid-Pacha et de Méhémet-Ali n’en reconnaissent à leurs chefs, les seuls hommes dont l’Europe sache le nom.

L’état des principautés danubiennes continue à préoccuper La diplomatie. C’est un théâtre d’intrigues auxquelles L’établissement d’un ordre de choses définitif peut seul mettre un terme, et que la mauvaise santé du prince Stirbey, dont on a même cru la succession ouverte, a encore rendu plus actives dans ces derniers temps ; mais le bruit de sa mort, et de quelque chose de