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qu’une réponse aux poursuites intentées par les autorités fédérales et conduites avec une âpreté impolitique et inutile contre les agens de recrutement qui ont essayé d’engager des hommes pour le service anglais sur divers points du territoire fédéral, en violation, il faut bien le reconnaître, de la législation des États-Unis. Il en est résulté effectivement une grande irritation ; on a essayé d’impliquer le ministre anglais, M. Crampton, dans les accusations portées contre des individus plus ou moins obscurs, et dont il désavouait les actes ; les journaux ont été remplis de déclamations imprudentes contre l’Angleterre, et parmi ceux qui se sont signalés par l’aigreur de leur langage, il y en a eu qui passent pour traduire les préventions passionnées d’une, partie de l’administration. Tout cela est sans doute grave, et constitue des rapports difficiles. Nous n’aimons pas à voir les orgueils nationaux mis en jeu, et nous ne voudrions pas répondre des suites que peut avoir une démonstration dont le sens est si clair. Cependant on est tellement intéressé des deux côtés à ne pas pousser les choses à l’extrême, les deux pays sont dans une si étroite dépendance l’un de l’autre pour toute l’économie de leur système commercial, qu’ils n’en viendront pas à une rupture ouverte sans avoir épuisé les moyens de conciliation. On doit l’espérer, car un conflit serait déplorable et pourrait avoir d’incalculables conséquences. Les États-Unis n’ont pas d’armée, et, comparée à celles de l’Angleterre et de la France, leur marine de guerre est insignifiante. On pourrait donc leur faire beaucoup de mal ; mais ils pourraient le rendre sous une autre forme, et on frémit en pensant à la perturbation qui en résulterait. Heureusement jamais les partis politiques n’ont été divisés aux États-Unis par des passions plus ardentes ; abolitionnisme et esclavage, intérêts du sud et intérêts du nord, guerre déclarée l’élément étranger, intolérance religieuse, sombre défiance des irlandais et des Allemands, tout est contraire à un grand élan national. Une guerre sérieuse avec l’Europe serait peut-être le signal de la dissolution de l’Union. Il est impossible que les hommes d’état américains ne prévoient pas un pareil danger, et qu’ils ne fassent pas de grands sacrifices pour le conjurer.

C’est ainsi que s’étend le cercle des complications auxquelles devait donner naissance la question qui continue à se débattre sur une ligne fort irrégulière, que l’empire romain, dans sa plus grande extension, n’a guère franchie ; rien encore n’annonce le terme de la lutte, et pourtant si la guerre se faisait toujours comme la font depuis deux ans les puissances alliées et la Russie, il faudrait supprimer, quand on en parle, ce mot de vicissitudes, qui donne l’idée d’un jeu sanglant où le hasard a autant de part que les calculs de l’intelligence humaine, et où la fortune n’a jamais dit son dernier mot avant que le dernier coup de canon ait été tiré. En effet, la supériorité de nos armes ne se dément nulle part. Sur quelque point du vaste théâtre des événemens que se mesurent les deux parties, quelle que soit celle qui attaque, et quelle que soit celle qui se défende, la victoire est fidèle au même drapeau. Il n’y a aucune opération sérieuse, aucunement reprise considérable, où les succès se balancent ; l’avantage est toujours du même côté, et l’ascendant est si bien établi, qu’il semble se communiquer, par une heureuse émulation, aux parties les plus faibles, tandis que la contagion du