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depuis le commencement de la guerre par une foule de symptômes, et a déteint, pour ainsi dire, surplus d’une question étrangère au grand débat. Néanmoins il n’en était encore directement résulté aucune difficulté sérieuse. La libéralité des principes que la France et l’Angleterre, d’accord entre elles pour la première fois sur cette question, avaient proclamés en matière de commerce des neutres, ayant d’avance enlevé au gouvernement fédéral tout prétexte de plaintes, la diplomatie américaine s’était bornée à faire proposer partout L’adoption d’une convention destinée à consacrer en droit et à toujours les franchises du pavillon et de la propriété neutres, reconnues en fait, et pour la durée de la présente guerre, par les deux puissances maritimes armées contre la Russie. C’était, à vrai dire, plutôt une manœuvre prétentieuse qu’un acte malveillant, et l’Angleterre comme la France ont pu fermer les yeux sur ce timide essai de ligue neutre, qui d’ailleurs n’a pas réuni assez d’adhésions pour devenir quelque chose d’imposant, nue s’est-il donc passé récemment, pour que tout à coupla situation se soit aggravée au point d’exiger de la part du gouvernement anglais l’envoi de renforts considérables à l’escadre des Bermudes ? Il est vrai qu’en même temps le journal très indépendant à coup sûr, mais aussi très puissant, qui a annoncé cette mesure avec beaucoup d’éclat, a désavoué toute intention hostile au peuple américain, toute défiance ou toute menace injurieuse au gouvernement fédéral ; il est vrai qu’il a reconnu qu’une rupture entre les États-Unis et l’Angleterre serait une immense calamité, et qu’il a représenté ces précautions comme dirigées exclusivement contre des arméniens en course avec des lettres de marque russes qui se prépareraient dans plusieurs ports des États-Unis. Il est possible qu’en effet quelques-uns des aventuriers qui ont dû renoncer à leurs projets sur Cuba aient eu la tentation de faire la course pour le compte de la Russie. Quelle riche proie que le commerce anglais et français dans la sécurité que les opérations maritimes ont conservée depuis deux ans ! Mais en premier lieu que de difficultés pour équiper des navires qui ne soient pas purement et simplement des pirates, passibles comme tels de châtimens terribles et sommaires qui vengeraient bientôt le peu de mal que le commerce aurait essuyé de leurs déprédations !

Et puis, quoi qu’on dise de la faiblesse du gouvernement et des lois aux États-Unis, du nombre des hommes sans aveu qui s’y trouvent toujours prêts pour les plus criminelles entreprises, de l’impunité sur laquelle ils peuvent trop souvent compter, nous ne croyons pas que les armemens dont on parle échappent à la connaissance des autorités fédérales, ni que celles-ci soient assez désarmées pour être dans l’impuissance de les paralyser. Tout a prouvé le contraire depuis quelques années. Les gouvernemens européens n’ont jamais douté à cet égard que de la bonne volonté des États-Unis, sûrs de l’efficacité de leurs lois quand le pouvoir fédéral croit devoir les appliquer. Qu’on ne s’y trompe donc pas : s’il y avait dans les ports de l’Union des préparatifs d’armemens en course assez sérieux pour préoccuper les ennemis de la puissance dans l’intérêt de laquelle ils se feraient, c’est que le cabinet de Wellington le voudrait bien, et on aurait le droit de lui en demander raison. Personne, nous en sommes sûrs, ne le comprendra autrement aux États-Unis, et pour nous, nous y voyons moins mie précaution contre des corsaires