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l’action marche trop lentement. C’est le défaut de ce récit, dont le fond est évidemment historique; mais l’anecdote racontée, n’étant point personnelle à l’auteur, n’a pas ce cachet d’originalité et de passion qui caractérisait Lorenzo Benoni. Dans Lorenzo Benoni, tout était vrai, parce que tout était personnel; dans le Docteur Antonio, tout est vrai encore, mais d’une vérité de seconde main, pour ainsi dire : L’auteur a vu peut-être, il n’a peint senti; on lui a raconté, il n’a pas été mêlé directement aux aventures de son héros. L’amour d’Antonio pour la belle Anglaise miss Lucy Davenne, qui occupe les trois quarts de ce récit, est charmant et fait honneur à l’âme gracieusement courtoise de cette Italie que l’on se figure toujours sensuelle et matérielle, et qui pourtant est pleine d’une si grande noblesse naturelle. L’Italie est essentiellement au contraire une terre patricienne, et sur le visage de ses paysannes et de ses simples pêcheurs brillent la majesté royale et la tristesse sérieuse et fière des races aristocratiques, supérieures au malheur et à la misère. Cette noblesse est d’autant plus frappante que l’éducation n’a rien fait pour elle, qu’elle n’est pas le produit lentement distillé de la civilisation des siècles, mais qu’elle est comme le fruit spontané d’un sol vigoureux. L’amour d’un Italien pour une Anglaise, quel admirable sujet de roman ou de poème ! L’amour de l’héliotrope, sorti sans préparation d’une terre fertile, pour la fraîche et éblouissante fleur de cactus qui a attendu cent ans pour s’ouvrir! l’alpha et l’oméga de la beauté qui se rencontrent et se reconnaissent ! la nature sous sa forme la plus forte et la plus naïve, qui, pour la première fois, n’est pas en querelle avec la civilisation, et qui baisse la tête d’admiration devant le plus exquis de ses produits! C’est quelque chose de semblable que l’amour d’Antonio pour miss Davenne, et ce pauvre Italien qui tombe à genoux devant la jeune Anglaise, en la prenant pour la madone, est certainement un des hommages les plus touchans que la nature ait rendus à la civilisation et au raffinement de la culture humaine. Malheureusement ce poème admirable, et que nous indiquons à tout poète en quête de sujets, n’a été qu’ébauché à peine par M. Ruffini, et ce n’est pas cependant la bonne volonté qui lui a manqué, car son livre indique qu’il nourrit pour la civilisation, les idées et la beauté anglaises, autant d’amour que son héros pouvait en avoir pour miss Lucy.

Antonio est un proscrit sicilien de noble naissance, qui, banni après les troubles de 1836, cherche un refuge on Piémont, retourne en Sicile, prend part aux révolutions de 1848, et finit par aller, en compagnie du duc d’Andria et de Carlo Pocrio, rendre compte de sa conduite à ces fameux tribunaux napolitains dont M. Gladstone a raconté les exploits. L’amoureux de miss Davenne, le galant et vaillant