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possède un gouvernement, une armée, et qui est l’allié de puissantes nations. On peut menacer, chicaner, refuser ses ambassadeurs, mais l’anéantir, non. On a, il est vrai, la ressource de gronder et d’insulter : mais si l’insulte va trop loin, l’affaire ne peut se terminer que par un duel réglé en bonne forme, et non plus par les vulgaires coups de bâton au moyen desquels on termine ses querelles avec un rustre grossier. Pour les idées comme pour les individus, il est toujours excellent et profitable d’être de bonne famille, et c’est heureusement la condition des idées libérales en Piémont.

Toutefois cette ligne de conduite politique telle que nous l’exposons n’est plus à l’état de désir et d’espoir, comme il y a quelques mois à peine, et nous sommes heureux de constater que les Italiens ont enfin compris qu’elle était la seule possible, la seule profitable, et même la seule légitime. La politique révolutionnaire inspirera toujours à l’Europe de la méfiance, et en lui créant des dangers éloignera de l’Italie les sympathies qui ne demanderaient qu’à se tourner vers elle. La ligne politique que nous venons d’exposer au contraire n’a aucun de ces inconvéniens ; elle aura le double avantage d’éveiller les sympathies et d’enlever toute ressource aux mauvais vouloirs. Elle recevra les encouragemens, les conseils et les secours de tous les amis de l’Italie ; elle réduira ses ennemis à l’impuissance. C’est même déjà un fait accompli. Les chefs les plus importans des partis italiens abdiquent successivement, et la lettre de M. Manin n’est point un fait isolé, car, si nous en croyons un journal anglais, un des chefs les plus fougueux de la révolution romaine a écrit une lettre empreinte de sentimens semblables, que certes on était en droit de ne pas attendre de lui. Le Piémont devient de plus en plus non-seulement la main, mais la tête de l’Italie ; en lui se résument de plus en plus toute sa force matérielle et toute sa force morale. Les hommes éminens de la péninsule s’y donnent tous rendez-vous. Là vit et écrit le violent M. Guerrazzi, le plus modéré cependant, dit-on, malgré toutes ses violences, des triumvirs de la révolution toscane ; là vivent et écrivent M. Tommaseo et l’ancien ministre du pape, Terenzio Mamiani. L’auteur du livre dont on a pu lire le titre en tête de ces pages est aussi un sujet sarde, rallié, croyons-nous, à la ligne de conduite politique que nous venons d’exposer, et nous éprouvons une satisfaction sincère, pour lui comme pour son pays, à voir les espérances qu’il laissait percer dans son charmant récit de Lorenzo Benoni devenir si vite des réalités.

Son nouveau livre, le Docteur Antonio, est une jolie histoire d’amour coupée et contrariée par les tristes incidens de la politique napolitaine, dans laquelle respire un souffle italien qui tient le lecteur en éveil, et l’empêche de voir que l’intérêt languit et que