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dans la nuit et dans les flots, assailli par les lames et tourmenté par le vent, un simple éclair suivi d’une éclipse? Cette apparition est la main ou la branche d’arbre tendue à l’homme qui se noie. Un cri de joie et de confiance se fait entendre. Le feu, voilà le feu ! On s’assure par l’intervalle des éclats que c’est bien le phare de la côte que l’on doit aborder ou éviter, et l’on marche en pleine sécurité.

Le pilote a de plus les yeux fixés sur sa boussole, qui dans son habitacle brave les mouvemens confus que l’océan donne au navire, et pointe fidèlement par sa petite lame d’acier dans une direction constante. Avec le phare et la boussole, il n’y a plus d’autre péril que l’ignorance. Le pilote doit savoir que, pour éviter le danger, il doit diriger son vaisseau de manière que le phare apparaisse dans la direction de tel ou tel point de la boussole. J’ai moi-même été témoin de ces merveilleuses évolutions dans les parages redoutables de la Bretagne. — J’allais à l’île souvent inabordable d’Ouessant. C’était dans l’automne de 1824. Le soleil s’abaissa sous l’horizon; la lune le suivit presque au même point de l’horizon; la planète Vénus, qui brillait alors d’un grand éclat et qui nous montrait l’occident, disparut avant de toucher les limites d’un ciel peu transparent. L’obscurité et la brume couvrirent l’Océan et nous cachèrent les astres; la mer s’éleva et les flots nous ballottèrent. D’immenses lames venant de la haute mer, des houles retentissantes nous attaquaient et nous roulaient l’une après l’autre, puis allaient se briser avec un retentissement prolongé contre les rochers de la côte et ceux qui s’avancent jusque dans le milieu de ces passes périlleuses. Un silence profond s’établit. Les matelots attendirent sur leurs rames, qui leur servaient à éviter les coups de la mer, dont l’eau ce soir-là était admirablement phosphorescente. Chaque coup de rame, chaque brisement de vague, chaque panachement d’écume faisait jaillir des millions d’étincelles lumineuses. Chaque goutte d’eau était un ver-luisant. Enfin, après plusieurs minutes d’une attente inquiète, le vieux pilote, dont la tête tournait sans cesse sur son corps immobile comme celle d’un oiseau de rivage qui guette le poisson tout à l’entour de lui, leva lentement la main et annonça le phare. Il saisit à l’instant avec vigueur la barre du gouvernail, et au bout d’une heure, après avoir marché avec la même précision, avec le même calme que si nous n’eussions pas été enveloppés par la nuit et battus par la mer, nous laissions tomber l’ancre dans le petit port d’Ouessant, peu habitué aux visites des curieux de la terre ferme. Le hasard voulut que les mêmes circonstances se reproduisissent à mon retour à Brest; seulement, ici, le mugissement des houles qui s’engouffraient dans les cavernes creusées par la mer sous les falaises de granit était encore plus formidable. Quelques-unes de ces cavités pénètrent fort