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En même temps ce mode d’éclairage permit d’illuminer des localités où il eût été difficile d’établir d’autres appareils. Par là encore une masse immense de notions se répandit dans le monde des travailleurs, qui peu à peu se rendit familières des connaissances que la classe élevée de la société ne puise pas toujours dans les écoles spéciales. L’instruction pratique, que depuis quelques années la direction supérieure des études tend à faire prévaloir, répond à ce penchant nouveau de la société qui l’entraîne vers la science appliquée, ou, pour employer un néologisme significatif, vers la science utilitaire. À ceux qui réclament les droits de la théorie pure, on peut répondre qu’en général la réflexion doit compléter les connaissances pratiques, tandis que les notions théoriques ne sont pas toujours praticables. Ce n’est pas tout de savoir, il faut savoir faire. Le penseur et l’ouvrier, la tête et la main, la théorie et le travail, ne doivent point être séparés. Quelques hommes, parmi lesquels j’aime à citer l’excellent professeur Blum, élève de l’École polytechnique, avaient devancé honorablement, dans cette voie d’enseignement pratique, l’impulsion de l’état. Pour mon compte particulier, c’est aux manipulations instituées à l’École polytechnique par notre illustre chimiste le baron Thénard que j’ai dû le peu de science physique qui m’a valu le titre si justement envié de membre de l’Académie des Sciences de notre Institut de France, titre qui stimule si puissamment le génie de tant d’énergiques travailleurs qu’on pourrait désigner par leurs découvertes aussi bien que par leurs noms. L’Institut, en leur ouvrant ses portes à mesure que les fauteuils deviennent vacans, a donc la juste espérance ne point déchoir. Puissent-ils un jour dire comme les héros d’Homère : Nous nous flattons de valoir mieux que nos pères !

Ἠμεις δ’ αὐ πατερων μεγ’ ἀμεινονες εὐχομεθ’ εἰναι.

C’est encore un symptôme heureux pour les sciences de voir les hommes arrivés à la maturité en rechercher les notions sérieuses et sévères avec autant d’empressement que les fruits bien plus attrayans de l’imagination et du style, qui sont cependant la plus brillante incarnation de la pensée. Cette tendance est générale. Les Anglais ont emprunté aux Allemands cette belle devise : « la tête et la main, » mente et manu. Je dois personnellement à cette curiosité, si vivement éveillée par les récens progrès de la science, l’attention qu’on veut bien donner aux pages où je tâche, dans ce recueil, de rendre accessibles des connaissances avant tout positives sans rien sacrifier de la rigueur qui en fait le caractère. Il y a peu d’années encore que l’on pouvait craindre d’être obligé de dire avec Bacon « qu’il y a plus de science dans les ateliers que dans les écoles. »