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Champs-Elysées. Pour la bien apprécier, il n’y manque qu’une chose, c’est la mention des prix en regard des coupons; on verrait alors jusqu’où peut descendre le coût d’un objet de luxe, lorsqu’il est traité avec cette conscience et cette sûreté de moyens. Une autre remarque à Caire, c’est qu’une sorte d’égalité règne dans cette manufacture de républicains; on dirait que les mœurs du pays répugnent à ce qui s’élève, et là comme ailleurs maintiennent le niveau. Cependant il y a quelques noms à distinguer, ceux de MM. Baumann, Bischoff, Ryffel et Schwarzenbach pour les tissus de soie unis, rayés, à carreaux, lisses, croisés ou satinés, — ceux de MM. Bary, Frayvogel, Richter, Sarasin, Soller et Sulger pour les rubans unis ou façonnés, ou de satin écru fait avec de la soie grège.

Avec la Grande-Bretagne, les procédés changent et les proportions aussi; aux ateliers de campagne succèdent les ateliers mécaniques. Sur les trois royaumes, deux ont fait défaut, l’Irlande et l’Ecosse; l’Angleterre seule a donné, et en apparence elle n’a mis que peu de forces en ligne. Comme noms isolés, elle est réduite à vingt-cinq exposans; mais elle a une réserve qui vaut une armée : c’est le comité de Manchester, représentant soixante fabricans anonymes du district de Manchester et de Salford. Ni la variété ni la richesse ne manquent à cette exposition; elle réunit tous les genres et porte l’empreinte d’un travail puissant. Il y a de beaux velours, des damas bien faits, des brocatelles traitées avec soin, des tissus pour robes, pour meubles et pour cravates, des satins pour gilets, des étoffes façonnées et brochées, où l’on trouverait peu à reprendre comme exécution matérielle. Il y a surtout une abondance de foulards, les uns tissés et imprimés en Angleterre, les autres venant de l’Inde et dont l’impression seule est anglaise. Ce qui manque à tout cela, c’est un je ne sais quoi plus aisé à sentir qu’à définir, c’est la manière, c’est le goût, l’harmonie des couleurs, le choix des dessins, la disposition générale. Où en serions-nous, hélas! si à côté de tant d’élémens de force l’Angleterre n’avait aussi ses points vulnérables? Avec ses soies du Bengale d’un prix si réduit et affranchies de tout droit, ses vastes établissemens où les frais généraux s’absorbent pour ainsi dire dans la puissance de la production, ses relations ouvertes sur tous les marchés du globe, son activité infatigable, ses inépuisables ressources, ce génie du commerce qu’elle pousse si loin, cette soif de domination qui inspire tous ses actes et lui a valu une partie de sa grandeur, elle nous aurait bientôt enlevé ce beau fleuron industriel, le seul peut-être de notre couronne qui soit à l’abri de ses atteintes. Rien ne lui coûte quand il s’agit d’arriver. Déjà Coventry menace Saint-Etienne avec ses rubans; Manchester et Spitalfields essaient de se mesurer avec Lyon, et il semble que les