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caractérise la véritable sagesse. Je ne fus point sage, et je ne suis parvenu à l’être que dans un âge où il n’y a aucun mérite d’y parvenir. »

A partir de ce moment, une ardeur de recherches que rien ne peut arrêter, qu’un mot suffit pour exalter encore, livre la jeunesse de Bonnet à un genre d’excès dont les moralistes ont oublié de parler. Un de ses compatriotes, autre observateur admirable, Trembley, alors à La Haye, ayant eu le malheur de lui écrire : « Qui sait si un accouplement ne suffit pas à plusieurs générations de pucerons? » Bonnet, troublé, recommence toutes ses expériences, les multiplie, les entoure de précautions exagérées, l’œil constamment appliqué au microscope, et poussant la folie jusqu’à dresser des tables exactes des jours et heures des accouchemens. Puis vient la découverte de Trembley lui-même sur les polypes d’eau douce, qui se reproduisent de bouture; Bonnet reprend pour son compte les expériences que son ami lui communique, et en fait de pareilles sur les vers. Bien malgré lui, le correspondant de l’Académie des Sciences ne fatiguait pas seulement ses yeux à observer des insectes avec l’aide de la loupe et du microscope, à tenir un minutieux journal de ses observations : il avait encore à suivre des cours de jurisprudence selon l’usage des jeunes gens de sa condition. Le droit romain était alors enseigné avec une préoccupation de détails qui ne souffrait pas les à-peu-près. Enfin, à la suite d’épreuves où l’on s’aperçut bien que l’élève de Réaumur n’était pas celui de Justinien, Bonnet, reçu docteur en droit, se vit libre de donner toute carrière à ses goûts et publia l’Insectologie, son premier ouvrage, où comme naturaliste il s’attache aux pas de Réaumur, et comme écrivain s’efforce d’atteindre à l’exposition élégante, si claire et si facile, de Fontenelle, son auteur favori, dont il ne se lasse pas de relire les Éloges et l’Histoire de l’Académie. L’ouvrage fut bien accueilli et loué par de bons juges.

Cependant le pauvre Bonnet payait chèrement le succès de ses recherches et sa célébrité précoce. Plus tôt et plus cruellement frappé que Pascal, il voyait, comme le grand géomètre, sa santé défaillir : il souffrait des mêmes maux et de la même langueur, auxquels s’ajoutaient des infirmités redoutables. Comme Pascal aussi, dans sa détresse, la religion le secourut. Laissons Bonnet raconter lui-même à Haller cette époque douloureuse de sa vie :


« Ma santé, que j’avais trop peu ménagée, avait commencé à s’altérer en janvier 1744. J’étais devenu maigre et je paraissais menacé d’une langueur. Mes yeux, que j’avais mis à de si rudes épreuves et à des épreuves si longtemps continuées, me faisaient souffrir des douleurs plus ou moins vives à chaque variation du baromètre. En 1745, je ne pouvais plus lire ni écrire sans une extrême fatigue et même sans douleur. Il était survenu dans