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bon élément; elle a l’esprit ouvert, l’intelligence prompte; elle est préparée à cette étude par les premières impressions; elle en a le goût et l’instinct, C’est d’ailleurs un enseignement professionnel dans toute la rigueur du mot; tous les élèves ont la bêche ou la serpe à la main, choisissent les cocons, délitent les vers, appareillent les papillons, apprennent comment les œufs se traitent et se conservent, font en un mot œuvre de cultivateurs et d’éducateurs dans toute la sphère des opérations usuelles.

Dans les pays à soie comme dans tous les pays de culture, le désir de la propriété est une passion dominante. Si les campagnards ne Fréquentent pas plus qu’ils ne le font ces cafés et ces cercles qui, dans le midi, remplacent le cabaret, s’ils fuient les occasions de dépenses et veillent sur eux-mêmes avec une certaine rigueur, c’est dans l’espoir de devenir propriétaires, d’avoir un morceau de champ, puis de l’agrandir, s’ils le peuvent. Rien de mieux; mais, comme toute passion, celle-ci a ses écueils. Presque toujours, dans un achat, l’acquéreur excède ses moyens et va au-delà de ses forces. Que s’ensuit-il? On le devine assez. Ne pouvant payer, il emprunte, et dès lors il est livré à toutes les gênes et à toutes les servitudes de l’hypothèque, servitudes physiques, servitudes morales, et ces dernières ne sont pas les moins pénibles à supporter. S’il évite la ruine et l’expropriation, ce n’est qu’au prix de sacrifices qui s’aggravent par leur durée et d’un vasselage qui enchaîne jusqu’à la conscience. Ainsi s’explique le succès qu’ont eu parmi des populations en apparence si favorisées ces doctrines d’une date récente, qui toutes avaient pour objet un partage agraire et une spoliation plus ou moins avouée. Les malheureux abusés n’y voyaient qu’une chose, un moyen expéditif d’acquitter leurs dettes et d’arriver à une liquidation sommaire au préjudice de leurs créanciers.

Telle est la population qui habite les grands foyers de la production de la soie, c’est-à-dire les vallons des Cévennes, le comtat venaissin et le Dauphiné. Ailleurs la culture du mûrier est un détail insignifiant dans l’ensemble des exploitations; pour ces provinces, c’est un point capital et une véritable richesse. — Nous voici maintenant arrivés au moment où l’agriculture va se dessaisir et livrer le produit à l’industrie, chargée de lui donner une nouvelle forme et de le faire passer par les diverses phases de la filature et de l’ouvraison. Quelques mots là-dessus.

Quand le cocon est à point, la première opération qu’il ait à subir est le triage. Il faut séparer les bons cocons des mauvais, ceux dont le ver est mort et ceux qui, formés de deux vers réunis, ne donneront qu’une soie grossière, enfin les cocons satinés de ceux qui ne le sont pas; après quoi on les étouffe au moyen de la vapeur et on les jette