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Tout n’est pas juste pourtant dans cet hommage rendu au ministre du premier Bourbon, et l’histoire n’est pas ici en complet accord avec la voix populaire. Avant lui, plusieurs de nos rois avaient essayé d’introduire en France la culture du mûrier et la fabrication de la soie. Sous Charles VIII, il y eut des plantations faites en Provence; sous Louis XI et Louis XII, il y en eut d’autres aux environs de Tours et dans le comtat venaissin; enfin, sous Charles IX, un simple jardinier de Nîmes, Traucat, multiplia les expériences et leur donna un caractère vraiment industriel. Non-seulement il couvrit le sol de vergers de mûriers et y déploya les soins les mieux entendus, mais il publia sur cette culture un écrit remarquable, où il en faisait valoir les avantages et en conseillait la propagation. D’un autre côté, la fabrication des soieries suivait une marche parallèle. Déjà les principaux foyers existaient et tendaient à s’accroître : dans le midi, Avignon et Nîmes, qui s’efforçaient d’imiter Florence; plus au nord, Lyon et Tours, qui avaient leur genre et leurs procédés, et dont les étoffes, les rubans et la passementerie trouvaient un débit assuré en France et au dehors. On peut même dire que le produit manufacturé y allait d’un pas plus ferme que la matière première, et de nombreux monumens des XVe et XVIe siècles, actes royaux ou municipaux, témoignent que l’activité de nos regnicoles s’était déjà portée de ce côté avec plus ou moins de fruit et des résultats plus ou moins heureux.

Sully lui-même, à qui on a trop fait les honneurs de l’initiative, n’y apporta pas, au début du moins, de grands encouragemens, et y eut la main forcée, pour ainsi dire. Il faut lire, dans ses Économies royales, un curieux passage où il raconte l’entretien qu’il eut à ce sujet avec Henri IV et le débat qui s’engagea entre eux. Le roi et le ministre y apportaient des dispositions diamétralement opposées. Le ministre, homme tout d’une pièce, n’aimait le luxe ni pour lui ni pour les autres, il y voyait moins la richesse que l’énervement d’un état; il préférait, suivant ses propres expressions, « de vaillans et laborieux soldats à tous ces petits marjolets de cour et de ville, revêtus d’or et de pourpre; » en un mot, il n’entendait pas favoriser ces babioles, comme il les appelait dédaigneusement. Le roi, au contraire, ne croyait pas qu’un pays comme la France dût être mis au régime de Sparte, ni sevré des jouissances qu’amène la marche des civilisations. Il avait lu, dans Olivier de Serres, que la soie pouvait devenir un élément de profits pour l’agriculture au moyen de vers « qui la vomissent toute filée, » et il ne voulait pas que son royaume restât, sous ce rapport, en arrière des petits états italiens qui en recueillaient de grands bénéfices. La discussion fut vive, et, suivant son habitude, Sully défendit le terrain pied à pied. Il dit que