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que dura la négociation confiée à Signeul, c’est-à-dire de mars à juillet 1812, il l’employa avec une incroyable activité et dans un étonnant mystère, dévoilé d’aujourd’hui seulement, à conjurer l’Europe avec lui.

Il fallait avant tout, pour sauvegarder la Russie, accumuler tous les dangers sur les deux ailes de l’armée française, si elle osait entreprendre une expédition contre l’empire des tsars. Bernadotte se chargeait d’inquiéter la droite; mais l’aile gauche pouvait devenir fort redoutable dans le cas où la guerre entre la Russie et la Porte donnerait à la France les Turcs pour alliés. Persuadé par les instances du prince royal, Alexandre accepta la médiation suédoise. Des instructions nouvelles envoyées au représentant de la Suède et au ministre de Russie auprès du divan ménagèrent la paix de Bucharest (28 mai 1812). Tout à coup cependant, la paix étant résolue, on apprend que le sultan refuse de la ratifier. Les progrès de l’armée française ont si subitement relevé notre influence à Constantinople, que les signataires du traité ont été mis à mort. Bernadotte avait prévu de pareilles difficultés; il avait dès avril confié une mission secrète au général suédois Tavast, dont la vigilance active, ne faisant pas défaut dans cette critique conjoncture, rétablit tout ce qui avait été ébranlé. De concert avec les agens de la Russie et de l’Angleterre, il parvint à persuader au sultan, — suivant les instructions données par Bernadotte lui-même, — que les différends soulevés entre la France et la Russie pourraient aisément se concilier, et qu’alors Napoléon le sacrifierait, comme il l’avait déjà fait à Erfurt. L’asservissement de la Croatie, de la Dalmatie et des îles Ioniennes, les immenses préparatifs de guerre que Napoléon avait faits dans ces contrées ne trahissaient-ils pas ses projets sur la Turquie? — Ces paroles firent impression sur Mahmoud. Il était entouré d’une aristocratie militaire qui demandait avec acharnement la guerre contre la France. Il voyait surtout avec étonnement la Suède, sa plus ancienne alliée, abandonner le parti français au moment où elle avait pour chef un prince français. Tout cela bouleversa ses idées; il ne résista plus.

Pendant le même temps se négociait sous les yeux mêmes et sous la direction de Bernadotte le rapprochement avec l’Angleterre. L’agent anglais, Thornton, voyageant sous un faux nom et se donnant pour négociant américain, afin d’échapper aux espions de la France, était venu en Suède dès le commencement d’avril, et le prince royal l’avait mis en rapport avec Suchtelen. Après beaucoup de débats dont la cause principale était la défiance de l’Angleterre, qui n’osait ou ne pouvait croire à la conversion de Bernadotte, la paix fut enfin signée le 18 juillet entre l’Angleterre d’un côté, la Suède et la Russie de l’autre. Ces traités ne renfermaient encore